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Introduction au dossier – Psychologie communautaire : créer du possible

Dre Mylène Demarbre, psychologue et experte invitée
La Dre Demarbre agit comme psychologue et directrice clinique du programme de santé mentale pour l’organisme Médecins du Monde Canada, où elle oeuvre depuis 2014. La psychothérapie de personnes en situation de marginalisation ou d’itinérance, l’accompagnement clinique d’équipes d’intervenants et de pairs aidants communautaires ainsi que la supervision de psychologues, de psychothérapeutes, de doctorants et d’internes sont des activités centrales à sa pratique. Détentrice d’un doctorat en psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), elle interroge et analyse, dans sa thèse, le phénomène de la désaffiliation à travers un angle psychique, s’intéressant à l’expérience subjective et au point de vue des personnes elles-mêmes. Le développement de pratiques et d’approches adaptées aux réalités et aux besoins des personnes marginalisées est au coeur de ses intérêts cliniques et scientifiques.


La psychologie communautaire est un domaine vaste et divers qui comprend une variété de sphères d’intervention, d’activités et de champs de pratique. Elle oeuvre vers la promotion de la santé, vers l’équité sanitaire et vers le bien-être des individus, de même que vers le développement communautaire et social (Saïas, 2009).

Elle s’enracine dans la reconnaissance des phénomènes d’exclusion, de marginalisation et d’oppression à l’oeuvre dans nos sociétés ainsi que dans le désir de contribuer au développement d’organisations sociales au sein desquelles chacun peut vivre son unicité et accéder aux ressources collectives de manière équitable (Le Bossé et Lavallée, 1993). Il s’agit d’une discipline qui valorise l’expertise, les compétences et les intérêts des personnes et des communautés concernées, nécessitant de travailler en collaboration étroite avec elles en vue de renforcer leur pouvoir d’agir ainsi que leurs capacités à créer et à mettre en oeuvre des solutions aux problèmes qu’elles rencontrent.

Des psychologues communautaires, des psychologues dans les communautés

Le psychologue communautaire est un acteur de changement qui porte des valeurs de justice sociale, d’équité et de solidarité au coeur de sa pratique. Son engagement professionnel peut comprendre l’élaboration et l’évaluation de programmes, l’analyse de problèmes, de situations et de milieux, le renforcement des capacités au sein d’un organisme, l’élaboration de politiques, la recherche-action, l’organisation communautaire et l’action sociale (Lavoie et Brunson, 2010). La pratique de la psychologie communautaire concerne également les psychologues cliniciens qui choisissent de déployer leur pratique clinique au sein du milieu communautaire. Leurs activités consistent à offrir des services psychologiques et de psychothérapie de façon créative et dans un cadre réinventé, que ce soit à même la communauté, au sein d’organismes ou auprès de populations faisant l’expérience d’inégalités sociales variées.

Des enjeux sociaux exacerbés et leurs effets sur la psyché

À l’heure actuelle, notre société et nos institutions publiques font face à de grands défis et à de nombreuses crises, alors que différents phénomènes systémiques contribuent à l’exclusion et à la précarisation d’un nombre croissant de nos concitoyens. Or, la santé mentale est étroitement liée au monde social et influencée par des facteurs politiques et sociaux. Les populations marginalisées sont plus susceptibles de présenter des troubles mentaux en raison d’un mode de vie stressant et du manque de facteurs de protection (Commissaire à la santé et au bien-être, 2012). Ainsi, les souffrances sociales qui s’accentuent mènent inéluctablement à l’accroissement de souffrances psychiques pour les personnes faisant l’expérience d’inégalités, en plus d’entraver leurs capacités d’exercer leur plein pouvoir d’agir.

L’environnement joue un rôle fondamental et engendre d’importants impacts sur la construction psychique des individus, alors que l’humain, si dépendant qu’il soit des autres et du monde à sa naissance, doit traverser tout un parcours intersubjectif pour se développer psychologiquement et atteindre une certaine forme d’indépendance et de maturité (Winnicott, 1990; Reid, 2007). De fait, les circonstances environnementales et les modalités de lien précoces sont déterminantes pour les éventuelles aptitudes à la représentation psychique du sujet ainsi que pour sa capacité à donner sens et à subjectiver ses expériences plus tard dans sa vie (Roussillon, 1995). Si les premiers temps de la vie sont cruciaux pour la construction identitaire et psychologique, l’humain continue de se concevoir comme sujet tout au long de sa vie : la subjectivation est un processus psychique continu qui s’articule à l’issue de la rencontre entre la psyché de l’individu et l’environnement au sein duquel il évolue (Wainrib, 2006; Cahn, 2004). Les personnes qui vivent dans des circonstances sociales fragiles et inéquitables se trouvent plus à risque de faire l’expérience de la précarité sur différents plans : social, économique, physique et psychique. Ces constats illustrent la grande importance de soutenir les milieux, les familles, et les communautés, renforçant ainsi leurs capacités à fournir un environnement favorisant la santé globale des individus qui les composent.

Encore trop de barrières d’accès à des soins de santé mentale de qualité

Trop de personnes font l’expérience de barrières d’accès aux services de santé mentale alors qu’elles pourraient en bénéficier grandement. Depuis plusieurs années, de nombreux psychologues quittent le réseau public, que ce soit pour des raisons financières, institutionnelles ou cliniques; cela génère de très longs délais d’attente pour l’obtention de services (Boissonneault et Smolak, 2023). De plus, les services publics en santé mentale tendent davantage vers la surspécialisation et l’organisation autour de critères et de programmes très spécifiques et précisément définis, ce qui exacerbe les barrières d’accès pour les personnes vivant des réalités complexes ou hors norme. Aussi, une part considérable de la population n’est nullement en mesure de consulter un psychologue travaillant dans le secteur privé en raison de sa situation financière et parce que les personnes ne possèdent pas d’assurance pouvant absorber une partie des frais associés, à plus forte raison lorsque la problématique nécessite un suivi supérieur à quelques séances. La question de l’accès aux soins de santé mentale en général, et de l’accès à la psychothérapie tout particulièrement, constitue un enjeu politique et institutionnel face auquel les psychologues peuvent et doivent agir.

En parallèle à la question d’accessibilité des services de santé se pose celle de la qualité des soins de santé mentale. Le contexte social et institutionnel actuel fait pression sur les soignants, qui doivent travailler toujours plus vite et avec des ressources de plus en plus limitées. Dans cette culture de la performance, qui et qu’est-ce qui est laissé en plan, tombe dans l’angle mort? Si elles excluent tout un pan de la population, c’est que nos structures de soin ne parviennent pas à atteindre l’efficacité qu’elles prétendent viser. En plus de plaider pour une accessibilité des services étendue et équitable, il nous apparaît nécessaire de travailler à développer et à valoriser des initiatives de prévention, de promotion de la santé collective et de renforcement du filet social. Une perspective communautaire invite à réfléchir aux actions et aux interventions coconstruites à l’échelle locale afin qu’elles soient bien adaptées aux besoins et aux réalités des populations.

En outre, il existe une importante stigmatisation associée à diverses expériences comme les problèmes de santé mentale, l’usage de substances, l’itinérance, le travail du sexe, la pauvreté, etc., et ce, tant dans la société en général qu’au sein du personnel soignant. De nombreuses personnes rapportent des interactions, des attitudes et des pratiques négatives et néfastes à leur endroit lorsqu’elles requièrent des services. Si la grande majorité des professionnels de la santé font preuve d’humanité, d’ouverture et d’empathie, des recherches démontrent que des préjugés demeurent présents chez beaucoup de professionnels oeuvrant dans le domaine de la santé, ce qui donne lieu à des comportements dépourvus de compassion et de soutien, à des approches paternalistes et non collaboratives, à la retenue d’informations et de services ainsi qu’à l’emploi de méthodes dépersonnalisées axées sur les tâches et à l’usage de méthodes coercitives (Livingston, 2020). Le recours aux services contribue encore trop souvent à aggraver la détresse des personnes, qui se heurtent au rejet et au jugement des professionnels censés les accueillir. Les psychologues peuvent contribuer à mettre de l’avant l’importance de développer des approches sensibles et de qualité, qui tiennent compte du contexte historique, social et politique et valorisent les expériences uniques vécues par les personnes.

La réponse du milieu communautaire et les défis auxquels il fait face

Les organismes communautaires accueillent et deviennent souvent les premiers et principaux répondants pour les personnes faisant l’expérience d’inégalités sociales. Ils déploient des actions locales autonomes et des initiatives accessibles, offrant des solutions de rechange complémentaires à l’offre déficitaire du système public. Alors qu’il existe un discours public mettant en valeur l’importance des organismes communautaires, le sous-financement chronique de ce secteur nous contraint de constater que, dans les faits, il n’est pas valorisé à la hauteur de son apport essentiel. À la suite de coupures effectuées dans le réseau public de santé, de plus en plus de gens et de demandes sont redirigés vers les organismes communautaires. Cette pratique est si répandue que plusieurs acteurs sur le terrain utilisent l’expression « communautaire dumping », imageant par là l’impression que le milieu communautaire est considéré et traité comme la décharge du réseau public. Il en résulte une augmentation et une complexification des demandes reçues par le milieu communautaire et l’accueil d’individus présentant des situations de plus en plus sévères, ce qui contribue à l’accroissement continuel de la charge de travail (Meunier et al., 2020). Il importe de reconnaître et de valoriser pleinement le travail complexe et essentiel que réalise le milieu communautaire, de même que la pertinence de l’apport et de l’expertise fournie par les psychologues qui y oeuvrent.

Inspirer et illustrer la psychologie communautaire

Ce dossier sur le thème de la psychologie communautaire présente des articles touchant de nombreux thèmes riches et pertinents pour l’ensemble des membres de l’Ordre. Je remercie les auteurs qui ont proposé les textes inspirants et de grande qualité qui s’y trouvent. D’abord, Houle, Montiel, Vrakas et Côté illustrent combien les inégalités sociales portent directement atteinte à la santé mentale et au bien-être des personnes, et plaident pour l’adoption de politiques et le développement d’approches et d’actions favorisant l’équité en santé. Montiel et Brunson relatent l’histoire du développement de la psychologie communautaire au Québec, mettant en lumière les valeurs et les principes fondamentaux portés par cette discipline, dont l’autodétermination, la solidarité, la diversité ainsi que le partage des savoirs et des pouvoirs avec les personnes concernées. Mailloux, Poissant, Brunson et Lacharité présentent un vaste réseau d’organismes communautaires oeuvrant auprès des familles tout en illustrant leur action et leurs pratiques, et en faisant rayonner leur volonté de valoriser les ressources, les forces et les compétences de ces familles. Ethier, Létourneau et Demarbre invitent à découvrir leur pratique auprès de personnes marginalisées en mettant de l’avant des piliers de leur posture comme la curiosité, l’ouverture, l’humilité ainsi que la qualité de l’accueil, de la présence, de l’écoute et du lien. Aubin partage son expérience d’une pratique en organisme communautaire auprès de jeunes marginalisés en mettant l’accent sur l’importance de la coconstruction et du travail d’équipe et en exposant certains défis et dilemmes éthiques liés à cette pratique. Finalement, Léonard et Bardon montrent la pertinence et la portée de l’évaluation en psychologie communautaire, un processus à la fois critique, participatif et émancipateur qui s’ancre dans une vision systémique et vise la transformation sociale et le mieux-être des individus et des groupes vulnérabilisés.

Pour que les psychologues fassent partie de la solution

Au-delà des définitions, la psychologie communautaire est une question de valeurs et d’engagement. À la base, c’est une discipline qui prend racine dans différents mouvements sociaux et principes de reconnaissance des droits des personnes. Son but de promotion de la justice sociale lui confère une visée politique par essence.

Le savoir-être, le savoir-faire et l’expertise de la psychologie sont à même de contribuer à des changements sociaux positifs grâce à l’implication dans différents milieux et le développement de différentes innovations. Il est si pertinent d’oeuvrer pour la santé mentale et le bien-être du plus grand nombre et de se mobiliser collectivement pour que toute personne qui en ressent le besoin ait accès aux services et à l’expertise des psychologues et des psychothérapeutes en temps opportun, et ce, quelle que soit sa situation sociale et économique. Nous disposons d’une foule d’outils pouvant être mis à profit, sur le plan tant scientifique que clinique. Je souhaite que notre profession, reconnue pour sa sensibilité et sa créativité, soit partie prenante de la recherche et de la création de solutions face aux problèmes sociaux que nous rencontrons. Quelle richesse que d’engager et d’investir le rôle social et politique de la profession de psychologue dans la mise en oeuvre d’approches centrées non seulement sur l’individu, mais également sur le tissu social et les communautés.

Bibliographie 

  • Boissonneault, C. et Smolak, D. (2023). Partir ou rester : réflexion sur le phénomène d’exode des psychologues du réseau de la santé du Québec. Filigrane, 31(2), 9-23.
  • Cahn, R. (2004). Subjectalité et subjectivation. Adolescence, (4), 755-766.
  • Commissaire à la santé et au bien-être. (2012). Rapport d’appréciation de la performance du système de santé et des services sociaux 2012 : pour plus d’équité et de résultats en santé mentale au Québec. Gouvernement du Québec.
  • Lavoie, F. et Brunson, L. (2010). La pratique de la psychologie communautaire. Canadian Psychology/Psychologie canadienne, 51(2), 96-105.
  • Le Bossé, Y. et Lavallée, M. (1993). Empowerment et psychologie communautaire : aperçu historique et perspectives d’avenir. Cahiers internationaux de psychologie sociale, 18, 7-20.
  • Livingston, J. D. (2020). La stigmatisation structurelle des personnes ayant des problèmes de santé mentale et de consommation de substances dans les établissements de soins de santé : analyse documentaire. Ottawa : Commission de la santé mentale du Canada.
  • Meunier, S., Giroux, A., Coulombe, S., Lauzier-Jobin F., Radziszewski, S., Houle, J. et Dagenais-Desmarais, V. (2020). Enquête sur la santé psychologique des travailleurs et des travailleuses du milieu communautaire au Québec. Montréal : Université du Québec à Montréal, 42 pages.
  • Reid, W. (2007). Un nouveau regard sur la pulsion, le trauma et la méthode analytique. Première partie : Une théorie de la psyché. Filigrane, 17(1), 68-94.
  • Roussillon, R. (1995). Logiques et archéologiques du cadre psychanalytique. Paris : Presses universitaires de France.
  • Saïas, T. (2009). La psychologie communautaire : une discipline. Le journal des psychologues, 271(8), 18-21.
  • Wainrib, S. (2006). La psychanalyse, une question de subjectivation? Le carnet PSY, (5), 23-25.
  • Winnicott, D. W. (1990). The maturational processes and the facilitating environment. London : Karnac Books.