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Repenser la radicalisation et la violence chez les jeunes dans un monde polarisé

Diana Miconi, psychologue
Mme Miconi est professeure adjointe au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur le développement positif des jeunes dans des contextes de polarisation sociale.



Dre Marie-Laure Daxhelet, psychologue
La Dre Daxhelet oeuvre au sein de l’Équipe clinique Polarisation du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Ile-de-Montréal et est professeure associée au Département de psychologie de l’UQAM. Elle a également travaillé comme chercheure à la Chaire Unesco en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, notamment autour des questions concernant l’adhésion aux théories du complot.

Dre Annie Lebrun, psychologue
La Dre Lebrun est psychologue membre de l’équipe clinique Polarisation au CIUSSS du Centre-Ouest-de l’Île-de-Montréal. Elle se spécialise dans les situations de polarisation des jeunes ou de leur famille, notamment en milieu scolaire. Elle est appelée à intervenir dans ces milieux directement auprès des membres du personnel ou des élèves, en plus d’offrir de la formation sur le sujet.

Avec la collaboration de Dre Cécile Rousseau, pédopsychiatre.


À l’ère du numérique et de la mondialisation, la montée des polarisations sociales a un impact sur les jeunes et contribue à une recrudescence de toutes les formes de violence, en particulier les manifestations de radicalisation violente (misogynie, homophobie/transphobie, xénophobie, racisme, intolérance religieuse) (Blaya, 2019; Ozer et al., 2024). En effet, les observations empiriques et cliniques indiquent que le visage de la violence juvénile évolue rapidement sous l’effet de phénomènes mondiaux, en ligne et hors ligne (Blaya, 2019).

Le risque lié à l’implication des adolescents dans des actes de violence motivés par des idéologies radicales est associé aux spécificités de cette période de la vie qui est déterminante pour le développement des idéologies (Steinberg, 2014). La vulnérabilité à la prise de risque et la recherche d’identité et d’appartenance qui caractérisent cette période contribuent également à rendre les adolescents plus sensibles aux idéologies, aux groupes radicaux ainsi qu’à la violence (Schröder et al., 2022).

S’il est important de permettre aux idées radicales d’émerger et de se développer, car elles sont à la base de la transformation sociale dans des contextes démocratiques, il est tout aussi important de comprendre les déterminants de la polarisation et de la radicalisation afin de prévenir les dérives violentes, tant sur le plan individuel que sur le plan systémique (Miconi et Rousseau, 2021).

Résultats de recherche

Nous présentons ici les résultats d’un projet de recherche mené dans six écoles secondaires s’intéressant aux facteurs de risque et de protection associés au soutien à la radicalisation violente et non violente à l’adolescence. Au total, 1911 adolescents âgés de 14 à 18 ans (âge moyen = 15,7; écart-type = 0,98; 48,7 % de filles) ont répondu en 2023 à un questionnaire en ligne, en français ou en anglais, autoadministré en classe pendant les heures de cours en présence de l’enseignant et d’un assistant de recherche. Parmi ces élèves, 574 l’ont rempli à nouveau en 2024 (Miconi, Aigoin et al., 2024). Le questionnaire incluait des échelles validées pour sonder le soutien à la radicalisation violente et non violente, le soutien à de multiples idéologies, les expériences d’adversité sociale, le climat scolaire, le soutien social et la détresse psychologique. Puisque toutes les données ont été collectées dans la région de Montréal, d’autres études seront nécessaires pour savoir si et dans quelle mesure les résultats peuvent être généralisés au reste de la province ou du Canada.

Les résultats indiquent que, bien que le soutien à la radicalisation violente et non violente puisse coexister, seuls quelques jeunes qui soutiennent la radicalisation non violente légitiment également des actes violents. Les jeunes qui ont rapporté vivre moins de discrimination, des expériences scolaires plus positives et plus de soutien familial étaient moins susceptibles de soutenir la violence (Miconi, Njingouo Mounchingam et al., 2024). Le fait que plus de la moitié des élèves aient rapporté avoir vécu diverses formes de discrimination durant la dernière année donne à penser qu’il est impératif de mieux comprendre les situations de discrimination et d’intervenir face à celles-ci afin de favoriser un climat plus inclusif et sécuritaire au sein des écoles. Les résultats longitudinaux (n = 574 élèves qui ont répondu au sondage à deux reprises) indiquent qu’un vécu de discrimination laisse présager une augmentation du soutien à la radicalisation violente chez les jeunes, et un sentiment d’insécurité à l’école, une diminution de l’activisme non violent. Pouvoir compter sur un climat démocratique à l’école joue un rôle protecteur en mitigeant l’impact négatif de l’insécurité à l’école et, par le fait même, le soutien des jeunes à la violence (Miconi et al., 2025). Cet ensemble de résultats semble indiquer que les initiatives de prévention primaire dans le domaine du soutien à la radicalisation violente doivent adopter une approche socioécologique et de justice sociale et prendre en compte la diversité des profils, des attitudes et des expériences des adolescents (Jahnke et al., 2022; Miconi et al., 2021; Miconi, Levinsson et Rousseau, 2024; Miconi et al., 2023).

Nos résultats ont également documenté la présence d’idéologies multiples rapportées par les élèves. Les attitudes pro-environnementales sont endossées par la majorité des élèves, ce qui est aussi le cas des attitudes pro-LGBTQ+. D’autres idéologies, bien que moins répandues, sont néanmoins présentes. Ainsi, un élève sur trois soutient des propos masculinistes. Il faut souligner qu’un risque de violence accru n’est pas nécessairement associé à une idéologie radicale précise, mais plutôt à une attitude de glorification de la violence, qui touche un élève sur quatre et qui confirme l’augmentation de la banalisation de la violence chez les jeunes dans les dernières années (CROP, 2024). Différencier les propos provocateurs et idéologiques des jeunes (tels que les attitudes masculinistes) des propos de banalisation de la violence devient alors particulièrement important pour ne pas museler toute opinion divergente, même si « politiquement incorrecte » et éthiquement problématique (Miconi, Aigoin et al., 2024). L’apprentissage de la démocratie se fonde sur la capacité de s’exprimer et de discuter de manière respectueuse au sujet des différentes positions qui s’opposent dans la société. Censurer ou stigmatiser toute opinion divergente, même si provocatrice, en la considérant d’emblée comme violente ou haineuse risque d’augmenter les sentiments d’impuissance, de rage et de frustration des jeunes, et ainsi de contribuer à légitimer les agirs violents, qui sont alors perçus comme la seule voie possible pour être entendu et exprimer ses griefs.

Le conflit au Moyen-Orient est un exemple de ces divisions délicates. Nos données ont souligné l’impact des conflits internationaux sur les jeunes. Notamment, 68 % des élèves se sont dits touchés et bouleversés par le conflit israélo-palestinien. La détresse liée aux conflits internationaux était associée non seulement à une augmentation des symptômes dépressifs chez les jeunes, mais aussi à un soutien accru à l’activisme non violent et à la radicalisation violente. Trouver des manières de dialoguer autour de ce sujet difficile et de promouvoir des formes démocratiques d’action pour que les jeunes puissent exprimer leurs émotions et sortir de l’impuissance devient essentiel pour prévenir une dérive violente des sentiments de rage et de tristesse associés aux deuils, traumatismes et injustices perpétués par ces conflits.

Implications pour la pratique et la psychologie scolaire

Sans amalgamer l’ensemble des positions polarisantes dans notre société ni minimiser l’importance cruciale des positions critiques des jeunes, il est nécessaire de reconnaître la contribution du contexte sociopolitique actuel (p. ex., conflit israélo-palestinien, changements climatiques) et leur mobilisation dans des discours populistes pour des prises de position radicales, qui peuvent à leur tour mobiliser des solidarités et parfois légitimer la violence (Miconi, Njingouo Mounchingam et al., 2024). Ce contexte s’invite dans la clinique et exige une réflexion au sujet des enjeux systémiques et individuels dont nous devons tenir compte lors de la mise en place d’interventions individuelles et collectives.

Notre expérience terrain nous amène à penser que miser sur la voix des jeunes et leur pouvoir d’agir s’avère prometteur pour structurer des interventions systémiques dans le milieu scolaire. Ainsi, nos données confirment que la discrimination et les injustices demeurent une réalité fréquente et quotidienne pour les jeunes. Repenser et explorer des solutions alternatives et créatives afin de mieux comprendre comment faire face à ce problème est prioritaire (Rousseau et Miconi, 2020). Le succès des interventions dépend de la contribution active des jeunes et de la valorisation de leurs points de vue. Soutenir leur engagement dans des actions démocratiques et non violentes, même si parfois radicales, semble une piste prometteuse pour favoriser une reprise de pouvoir essentielle à leur développement et réduire les risques de dérive violente (Mueller et al., 2025). S’il faut se garder d’ignorer la banalisation de la violence, la proposition de moyens d’expression alternatifs non violents pour que les jeunes puissent exprimer leurs émotions et affirmer leur influence et leur leadership auprès de leurs pairs a plus de chances d’être efficace que la mise en oeuvre d’approches prescriptives ou moralisantes.des solidarités et parfois légitimer la violence (Miconi, Njingouo Mounchingam et al., 2024). Ce contexte s’invite dans la clinique et exige une réflexion au sujet des enjeux systémiques et individuels dont nous devons tenir compte lors de la mise en place d’interventions individuelles et collectives.

Ouvrir des espaces de dialogue dans le contexte actuel de polarisations sociales, tout en réaffirmant le cadre de valeurs et de justice sociale à respecter et à promouvoir dans nos écoles et notre société, demeure cependant un défi (de Haan, 2023). En nous inspirant de la voix des jeunes ayant participé à notre recherche, nous suggérons qu’une ouverture du système scolaire à plus de transparence démocratique, une aide à la gestion des conflits ainsi que la création d’espaces de dialogue et d’expression créatrice à l’école pourraient être des pistes à explorer pour atténuer les tensions et promouvoir la cohésion sociale chez les jeunes et en milieu scolaire. En effet, les approches d’expression créatrice permettent d’aborder des questions délicates en classe de manière symbolique et moins polarisante, dans le respect de la diversité des jeunes et de leurs besoins, contribuant ainsi à une prise de parole et de pouvoir des jeunes qui favorise leur régulation socioémotionnelle (Mueller et al., 2025).

Tout en se procurant un filet de sécurité, les jeunes ont besoin d’apprendre à gérer un certain risque et à naviguer avec l’inconfort qui fait partie d’une société diversifiée et inclusive. Si une sécurité sans faille est illusoire dans le contexte actuel, le respect des désaccords est une valeur démocratique qui peut être travaillée avec les jeunes, à la fois en clinique, en famille et à l’école. Les professionnels devraient veiller à ce que les jeunes puissent être valorisés et encouragés à exprimer leur leadership d’une manière respectueuse, constructive et non violente à l’école et dans leurs contextes de vie, ce qui requiert un accompagnement tant sur le plan social (en ligne et hors ligne) que sur le plan scolaire.

Bibliographie