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Rapports de l’INESSS pour un meilleur accès à la psychothérapie : oui, mais…

Dre Christine Grou, psychologue | Présidente de l’Ordre des psychologues


 

En 2012, le Commissaire à la santé et au bien-être recommandait au gouvernement du Québec d’augmenter l’accessibilité des services en santé mentale au-delà de la médication, souvent le seul choix disponible. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a donc mandaté l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) pour évaluer, dans un premier temps, le coût et l’efficacité de la psychothérapie comparativement à ceux de la pharmacothérapie dans le traitement d’adultes souffrant de tels troubles et pour examiner le rapport coûts-bénéfices de chacun. Dans un deuxième temps, l’INESSS devait répertorier et analyser les différents modèles d’accès à la psychothérapie existants sur les plans national et international.

En juin dernier, l’INESSS publiait les deux premiers volets de son avis sur l’accès équitable aux services de psychothérapie. Dans la comparaison des traitements, la revue de la littérature scientifique autant que de celle de la littérature grise révèle que la psychothérapie est tout aussi efficace que la médication. Elle est également peu coûteuse et ses effets bénéfiques semblent plus durables dans une perspective longitudinale, ce qui s’explique à mon avis par les changements plus substantiels qui s’opèrent par le biais de la psychothérapie sur les plans cognitif, affectif, relationnel et comportemental. Bien entendu, l’Ordre a réagi très favorablement à de telles conclusions qui permettent d’espérer non seulement un meilleur accès à des services plus efficaces dans le traitement des troubles mentaux les plus répandus et les plus éprouvés, mais également une plus grande équité dans la distribution des soins.

Par ailleurs, l’analyse des modèles d’accès dans le monde soulève chez moi certaines inquiétudes. D’abord, on considère qu’au Québec la psychothérapie est accessible dans le réseau public, ce qui n’est vrai qu’en partie. L’accès commence généralement par le module d’évaluation, ou l’évaluation initiale, souvent médicale et psychosociale. Ensuite, le profil évalué doit correspondre aux soins et services offerts par l’institution, condition à laquelle s’ajoute le passage obligé et souvent assez long sur une ou quelques listes d’attente. Quand enfin le service est rendu, il est non seulement circonscrit autour d’une programmation clinique traitant de symptômes spécifiques, mais il a également une durée déterminée. Bien sûr, il est gratuit, mais son accessibilité est moins facile qu’on ne l’affirme. Au Québec, certaines couvertures d’assurances permettent également un accès gratuit à la psychothérapie, comme la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) ou l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC). Toutefois, si la source du trouble dépressif ou anxieux n’est pas un accident de travail ou de la route ni un crime, point de gratuité ! Cela soulève la question de la justice et de l’équité, puisque l’accès aux soins en santé mentale dépend alors non pas de la problématique à traiter, mais plutôt de sa cause présumée.

Deux autres modèles ont aussi été examinés sur le plan international, ceux du Royaume-Uni et de l’Australie. Ils ont suscité l’intérêt de l’INESSS, parce qu’ils ont mis en place des programmes d’accès à la psychothérapie qui ont fait l’objet d’évaluations. Le modèle du Royaume-Uni se décline en trois étapes : l’identification du trouble mental, la prise en charge de faible intensité par des professionnels « du bien-être psychologique » qui dispensent des services qui ne sont pas de la psychothérapie (p. ex. la thérapie cognitivo-comportementale assistée par ordinateur, l’autoassistance guidée ou la psychoéducation de groupe) et finalement la prise en charge de haute intensité, pour les troubles modérés à sévères, effectuée uniquement par des psychologues cliniciens. Le modèle australien en est un de paiement à l’acte et nécessite une référence du médecin de famille. Comme les cliniques de médecine familiale demeurent engorgées et que les psychologues sont habilités par la loi 21 à faire l’évaluation des troubles mentaux, cette condition ne serait donc pas indispensable au Québec. Quant à la psychothérapie elle-même, le modèle australien ne correspond pas à la réalité de la loi 21 et à la réserve de la pratique psychothérapeutique.

Dans ces deux modèles, il me semble important de soulever les limites cliniques des études qui concluent à l’efficacité des programmes sur la seule base de questionnaires autoremplis et portant sur la diminution de symptômes spécifiques autorapportés après l’entrée dans ces programmes. Je relève également le taux élevé d’abandon et le faible taux de personnes qui cessent de recevoir des indemnités à la suite du traitement. Finalement, aucune mesure longitudinale effectuée quelques mois, voire une année après la prise en charge ne permet de conclure sur la durée des bienfaits réels de celle-ci. « Ces données confirment les résultats d’études sur la psychothérapie qui montrent que 2 à 6 séances sont efficaces » ; c’est du moins l’une des conclusions du rapport de l’INESSS. Que fait-on du jugement clinique du psychologue ? À mon avis, les conclusions de l’étude, fort précieuse et fort bien documentée par ailleurs, effectuée par l’INESSS devraient être beaucoup plus prudentes et surtout plus nuancées, compte tenu des limites inhérentes à la méthodologie de l’évaluation des programmes et aux éléments manquants sur le devenir clinique longitudinal des personnes ayant pris part au programme, tout comme de celles qui s’en sont désistées. On peut s’attendre à ce que le troisième volet de l’avis de l’INESSS comporte des recommandations sur l’implantation d’un modèle québécois. J’espère sincèrement que l’on retiendra du premier volet que la psychothérapie est efficace, mais que l’on considérera toutes les nuances autour de la méthodologie des modèles étrangers étudiés portant davantage sur l’accès aux services en santé mentale que sur l’accès à la psychothérapie. Le modèle québécois devra être appuyé sur la loi 21, qui autorise les psychologues à évaluer et à traiter les troubles mentaux. J’appelle également à la prudence sur la prescription du nombre de séances compte tenu de la diversité et de la complexité des manifestations anxieuses et dépressives des personnes. En dépit des balises nécessaires dans un contexte de programme financé par le gouvernement, j’espère que le traitement des patients laissera une place au jugement clinique, l’allié humanitaire indispensable à la compréhension de la personne et à l’évolution de son traitement.

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