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La pleine conscience en psychologie sportive chez l’athlète de haut niveau

Dre Catherine Duchesne, psychologue
Neuropsychologue et psychologue sportive, la Dre Duchesne s’intéresse notamment à la réadaptation et à la préparation mentale des athlètes.
 

 

Marjorie Bernier
Titulaire d’un doctorat en psychologie, enseignante et chercheuse à l’Université de Bretagne Occidentale, Mme Bernier pratique la psychologie du sport. La pleine conscience constitue la principale thématique de ses recherches et de ses interventions.


Cet article s’intéresse aux besoins psychologiques de l’athlète de haut niveau, particulièrement en ce qui a trait à la pleine conscience comme moyen d’y répondre.

L’expression « un esprit sain dans un corps sain » est souvent attribuée à Pierre de Coubertin, qui l’aurait prononcée lors des tout premiers Jeux olympiques de l’ère moderne, en 1896. D’une part, on y perçoit l’importance de cultiver la force morale autant que physique par le goût du dépassement de soi. D’autre part, elle montre à quel point le sport est intimement lié au développement de l’être humain. L’étude de la psychologie du sport se définit par cette philosophie. Elle facilite ainsi le déploiement, l’enseignement et l’application de connaissances psychologiques afin de mieux répondre aux besoins des acteurs sportifs (notamment les athlètes et les entraîneurs, ainsi que les membres des équipes sportives).

Contrairement aux besoins psychologiques de la population en général, ceux de l’athlète se définissent à l’intérieur de la culture du sport, selon la discipline pratiquée. Cette culture se traduit généralement par des valeurs (ex. : la détermination ou la discipline) et des manières de faire
(ex. : la rigueur et l’assiduité à l’entraînement) communes, qui, toutes, préconisent la performance. Les besoins psychologiques de l’athlète sont également déterminés par des éléments spécifiques à la discipline pratiquée, par exemple la dimension d’équipe dans un sport collectif (ex. : le soccer) ou la notion de jugement attribuée aux résultats lors des compétitions d’un sport artistique
(ex. : le patinage artistique). On peut donc dire qu’il existe autant de cultures sportives que de pratiques sportives distinctes (Darbon, 2002). En tenant compte de cette réalité culturelle dans laquelle baigne l’athlète, le rôle principal du psychologue est donc de favoriser le bien-être psychologique de son client qui vit l’expérience de l’excellence sportive.

Dans les médias, l’accent est aussi mis sur la performance, mettant en évidence l’image indestructible de l’athlète. Ainsi, il est commun de percevoir l’athlète de haut niveau comme une idole, un objet d’adoration irréprochable et invulnérable, notamment sur le plan psychologique. De ce fait, la majorité des athlètes, à tort ou à raison, sont souvent perçus comme étant en « très bonne » santé mentale et cognitive, et ce, en raison de leur excellence sportive.

Par exemple, on peut penser à la maîtrise émotionnelle inébranlable d’un champion olympique, ou à la capacité visuospatiale impressionnante d’un gymnaste. Ainsi, les interventions en psychologie sportive ont vu le jour grâce à une volonté d’amélioration des capacités mentales, voire en défiant la psychopathologie pour espérer la vaincre ou la prévenir. Notamment, on a souhaité viser l’amélioration des capacités d’attention, de gestion du stress et de confiance en soi afin d’optimiser les performances sportives. S’il est intéressant de constater que les sportifs ont réellement des habiletés mentales fort aiguisées, la revendication explicite de l’excellence dans la culture du sport de haut niveau s’avère aussi un terrain fertile pour la manifestation de difficultés psychologiques, notamment les troubles anxieux (ex. : le trouble d’anxiété généralisée), l’épisode dépressif majeur et les troubles alimentaires (Salmi, Pichard et Jousselin, 2010; Van Slingerland et coll., 2019). Ainsi, en valorisant l’athlète de haut niveau en fonction de ses réussites sportives (ex. : pour la sélection, la victoire, l’efficience d’un geste technique), on octroie une place prédominante à l’identité sportive (l’athlète) aux dépens parfois de l’être humain (l’individu). On peut penser que ce phénomène d’ombrage de l’individu devant l’athlète peut avoir un impact sur l’estime de soi de la personne, la rendant vulnérable lors de certaines situations, telle la fin de sa carrière. C’est pour répondre aux besoins psychologiques des athlètes qui vivent ce type de difficultés que la psychologie sportive a crû.

Issues des principes de la thérapie cognitivo-comportementale, les interventions déployées pour améliorer les habiletés mentales des athlètes visent davantage à développer un meilleur contrôle des processus internes comme les pensées et les émotions (Birrer, Röthlin et Morgan, 2012). Toutefois, plusieurs études de la dernière décennie soulèvent le manque de données probantes concernant ce type d’interventions, particulièrement lorsqu’elles sont mises en relation avec la performance sportive (Moore, 2009). Plus spécifiquement, la surcharge cognitive générée par ce type d'interventions
(ex. : la restructuration cognitive) aurait un effet possiblement délétère sur la performance, par exemple pour l’exécution d’un geste technique (Wegner, 1994; Wenzlaff et Wegner, 2000). Concrètement, la tentative de contrôle des « événements internes » (i.e. les pensées, les émotions, etc.) mobiliserait les ressources cognitives en sollicitant, entre autres, la capacité en mémoire de travail au détriment de processus automatisés, c’est-à-dire une mémoire procédurale déjà bien consolidée lors des multiples entraînements sportifs (Masters et Maxwell, 2008), caractéristique de la performance sportive optimale (peak performance). Cet état de performance optimale, qui survient lorsqu’un athlète est pleinement engagé et immergé dans son activité au moment présent, apparaît similaire à l’expérience de pleine conscience (Aherne, Moran et Lonsdale, 2011).

Du point de vue de la psychologie sportive, la capacité d’être pleinement engagé et conscient du moment présent est un déterminant important de la performance (Röthlin, Horvath, Birrer et Grosse Holtforth, 2016). Conçu par Birrer et coll. (2012) dans le but de faire valoir les bienfaits possibles de la pleine conscience et d’encadrer les recherches sur le sujet, un modèle permet d’exposer comment les notions de valeurs, d’autorégulation de l’attention ou encore d’acceptation pourraient conduire à des habiletés psychologiques favorables à la performance sportive (les habiletés d’attention, la communication, la motivation, etc.). La recherche en psychologie sportive étudie principalement la pleine conscience (PC) comme 1) une disposition à l’état de PC (dispositional mindfulness), un trait qualitatif de l’athlète qui se caractérise par une tendance à être pleinement conscient dans la vie de tous les jours et dans les situations sportives; et comme 2) une pratique, une technique, une méthode permettant d’entraîner des habiletés d’autorégulation des pensées et des émotions (mindfulness practice) [Birrer, 2017]. Ainsi, Röthlin et coll. (2016) ont démontré que la disposition à l’état de PC chez l’athlète favorise la performance perçue en diminuant son anxiété de compétition et l’impact délétère qu’elle peut avoir. L’étude conclut que la PC chez un athlète de haut niveau se traduit par une diminution des inquiétudes (ruminations) sur la performance et prévient ainsi les comportements contre-productifs dus à l’anxiété de performance. Une étude a approfondi la compréhension de ce processus de régulation émotionnelle chez les athlètes ayant une forte disposition à la PC (Josefsson et coll., 2017). Les auteurs ont pu déterminer que l’utilisation de la PC par un athlète compétitif diminuerait les ruminations et améliorerait la régulation émotionnelle, permettant ainsi une meilleure résilience lors d’une situation difficile, ce qui est bénéfique à la performance sportive. Par ailleurs, la PC pourrait aussi agir comme un facteur important du bien-être psychologique de l’athlète (Chang, Chang et Chen, 2018). Dans une étude longitudinale, Chang et ses collaborateurs ont démontré que la disposition à la PC chez l’athlète de haut niveau permet de préserver la satisfaction, les affects positifs et la vitalité; des aspects qualitatifs fondamentaux pour l’atteinte des besoins psychologiques d’une personne. Ils ont conclu que la PC peut avoir un effet protecteur sur le maintien de la santé psychologique à long terme dans le contexte d’une pratique sportive de haut niveau.

S’inspirant d’études contemporaines qui testent des programmes basés sur la PC1, le domaine de la psychologie sportive conceptualise des interventions, par exemple une méthode d’entraînement mental pouvant, entre autres, faciliter le développement métacognitif d’un athlète. Au moyen de ces interventions, on vise à développer chez l’athlète une acceptation des « événements internes », en opposition au contrôle des émotions et des pensées. Ainsi, on présume que les performances sportives optimales sont liées à la capacité d’adopter cet « état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment » (Kabat-Zinn, 2003). Différents programmes ont ainsi été conçus et testés pour développer cette capacité. Basé sur les principes de la thérapie d’acceptation et d’engagement, un premier programme d’intervention, le Mindfulness Acceptance Commitment (MAC), a été proposé afin d’accompagner les athlètes dans leurs performances sportives et leur bien-être psychologique (Gardner et Moore, 2007; Gardner et Moore, 2017). On y trouve des interventions psychoéducatives (ex. : sur les émotions et les processus cognitifs), des exercices de méditation de PC (ex. : le balayage corporel) et des exercices pratiques parfois ludiques pour explorer les notions de valeurs, d’acceptation et d’engagement. En effectuant un essai contrôlé randomisé, les chercheurs ont vérifié l’efficacité du MAC sur la performance perçue par les athlètes (Josefsson et coll., 2019). Les résultats de cette étude montrent l’efficacité du MAC sur l’amélioration de la performance perçue par l’athlète en comparaison avec le groupe contrôle – qui a suivi un programme d’entraînement des habiletés mentales traditionnel. De plus, cet effet est médié par l’amélioration de la disposition à la PC et de la capacité de régulation émotionnelle, qui constituent des mécanismes d’action essentiels dans le programme MAC. D’autres programmes, comme le Mindful Sport Performance Enhancement (MSPE) [Kaufman, Glass et Arnkoff, 2009] ou le Mindfulness Badminton Integrated (MBI) [Doron, Rouault, Jubeau et Bernier, 2020], ont été testés. Les études ont ainsi permis d’examiner l’impact de la pratique de PC formelle (pratique sous forme de méditation de pleine conscience) et informelle (pratique effectuée lors d’une tâche sportive spécifique) sur la performance de l’athlète de haut niveau. Évidemment, les programmes originaux issus de la psychologie générale (MBSR et MBCT) peuvent s’appliquer aussi lorsque les besoins s’en rapprochent.

En plein essor, ce domaine de recherche appliquée permettra à l’avenir d’enrichir les interventions basées sur la PC. Nous nourrissons l’espoir de voir naître une pratique psychologique sportive axée sur les valeurs de l’être humain.

En terminant, l’étude de cas présentée par Birrer (2019) est un exemple concret des nouvelles et nombreuses applications possibles de la PC dans le sport de haut niveau. On y découvre le cas d’un athlète de haut niveau en aviron, en état de surentraînement, non fonctionnel, qui bénéficie d’un programme d’intervention basé sur la pleine conscience. L’athlète parvient à atteindre à nouveau le plus haut niveau international en apprenant à répondre au stress de façon constructive grâce à une meilleure flexibilité psychologique et comportementale.

Référence et bibliographie

Référence

  1. Pensons par exemple à Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR) ou à Mindfulness Based Cognitive Therapy (MBCT).

Bibliographie