Les spécialistes de la psychologie du sport : le psychologue spécialisé en sport et le consultant en performance mentale
Dre Véronique Boudreault, psychologue
Au moment d'écrire cet article, la Dre Boudreault était professeure et chercheuse en psychologie du sport à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle est aujourd'hui professeure adjointe à l'Université de Sherbrooke et membre de la Chaire de recherche Sécurité et intégrité en milieu sportif de l'Université Laval. Elle est spécialisée en sport et consultante en performance mentale.
Daniel Fortin-Guichard
Au moment d'écrire cet article, M. Fortin-Guichard était stagiaire postdoctoral et chercheur en sciences du sport à l’Université libre d’Amsterdam. Il terminait en parallèle un doctorat en psychologie expérimentale du sport à l’Université Laval. Il est aujourd'hui chercheur en psychologie au Laboratoire de recherche en psychologie de la perception de l'Université Laval.
Cet article vise à faire la lumière sur les confusions entourant la psychologie du sport appliquée en abordant des questions liées à la formation et au champ de pratique des consultants en performance mentale (CPM) et des psychologues spécialisés en sport (PSS). Les enjeux et les défis de l’intervention psychologique dans ce contexte y seront également discutés.
L’appartenance de la psychologie du sport au domaine de la psychologie ou à celui des sciences du sport est source de débats persistant depuis plus de 25 ans. D’une part, la psychologie du sport rejoint moins l’intérêt retrouvé typiquement en psychologie clinique envers la psychopathologie. D’autre part, les sciences du sport ont traditionnellement porté davantage sur l’aspect physiologique que sur l’aspect psychologique. Ce manque d’appartenance de la discipline se traduit notamment par des problèmes dans l’uniformité de la formation des intervenants en psychologie du sport et par une méconnaissance du public quant aux intervenants qualifiés – c’est-à-dire les consultants en performance mentale (CPM) et les psychologues spécialisés en sport (PSS), qui ont leur champ d’expertise respectif. Ce manque d’uniformité a des conséquences dans les milieux pratiques, où l’on constate que les CPM et les PSS ont souvent de la difficulté à faire leur place au sein des équipes de soutien aux athlètes. Cela a également des répercussions sur la recherche scientifique, car les possibilités de financement se font rares.
Comment devenir CPM ou PSS?
En Amérique du Nord, il existe des organisations qui encadrent la formation et la pratique des intervenants en psychologie du sport. Au Canada (incluant le Québec) et aux États-Unis, les deux organisations professionnelles représentant la psychologie ont des sections concernant spécifiquement la psychologie du sport. D’abord, aux États-Unis, l’APA a créé la division 47 (dont le nom est Society for Sport, Exercise & Performance Psychology) en 1986 dans le but de favoriser le développement de la recherche et de la pratique en psychologie dans les domaines du sport et de l’exercice. L’APA n’offre pas de certification, mais elle fournit des lignes directrices quant à la formation requise pour les psychologues qui veulent se spécialiser en sport1. À cet effet, l’APA recommande une formation complémentaire à la suite de l’obtention d’un diplôme de troisième cycle en psychologie. Cette surspécialisation doit inclure une formation concernant l’entraînement des habiletés mentales ainsi que les aspects liés au bien-être psychologique et à la santé mentale des athlètes, le tout s’inscrivant dans une compréhension systémique des organisations sportives et des enjeux sociaux et développementaux spécifiques au sport. Ensuite, au Canada, la Société canadienne de psychologie (CPA) a, tout comme l’APA, une section qui porte sur la psychologie du sport et de l’exercice dont la mission est de promouvoir des pratiques basées sur des données probantes et de fournir des lignes directrices quant aux compétences professionnelles et aux standards éthiques pour intervenir en contexte sportif. Cette division étant actuellement en développement, les lignes directrices concernant les compétences ne sont pas disponibles sur le site de la CPA. Les PSS et les CPM peuvent être membres de l’APA et de la CPA; toutefois, ces deux organisations sont davantage orientées vers la psychologie que vers les sciences du sport. Seuls les PSS sont membres de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) et peuvent porter le titre de psychologue.
Parallèlement, des organisations professionnelles indépendantes spécifiques à la psychologie du sport ont été créées, tant aux États-Unis qu’au Canada. D’abord, aux États-Unis, l’Association for Applied Sport Psychology (AASP) a été fondée en 1985 dans le but de faire avancer le domaine sur les plans théorique, scientifique et pratique. Encore à ce jour, l’AASP est l’organisation en psychologie du sport la plus importante au monde, comptant plus de 2600 membres provenant de 50 pays (Quartiroli, 2014). Aux États-Unis, il est nécessaire d’avoir une certification de l’AASP (Certified Mental Performance Consultant®) pour être reconnu et engagé dans une organisation sportive ou un établissement scolaire. L’Association canadienne de psychologie du sport (ACPS), qui a vu le jour en 2006, se positionne quant à elle comme l’association soeur de l’AASP. Ainsi, elles partagent sensiblement les mêmes vision et mission, et elles tendent à aligner leurs standards de pratique. Cependant, contrairement à l’AASP, l’ACPS ne permet pas encore d’obtenir de certification, en raison de son statut légal au Canada. Elle offre le statut de « membre professionnel » aux intervenants qualifiés qui satisfont ses critères de compétences. Ainsi, les membres de l’AASP et de l’ACPS sont tous CPM, et certains sont en plus PSS. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir un permis de psychologue pour être membre de ces associations et être CPM – par ailleurs, CPM n’est pas un titre réservé au Canada, contrairement à celui de psychologue. À noter qu’aux États-Unis, le titre Certified Mental Performance Consultant et l’acronyme (CMPC®) sont réservés.
Bien qu’il n’existe pas de certification pour les CPM, tant au Québec que dans l’ensemble du Canada, tout individu désirant pratiquer comme CPM ou PSS doit être membre professionnel de l’ACPS. Les critères minimaux pour l’obtention de ce statut incluent :
- un diplôme d’études supérieures en psychologie du sport ou dans un domaine relié (maîtrise ou doctorat);
- des cours universitaires pertinents dans le domaine de la psychologie du sport (ex. : pour l’entraînement des habiletés mentales), des sciences du sport (ex. : en physiologie de l’exercice), de la relation d’aide (ex. : en communication en relation d’aide), de la psychologie (ex. : en psychopathologie) et de l’éthique (ex. : en éthique et déontologie);
- un minimum de 400 heures de pratique en contexte sportif supervisées par un membre en règle de l’ACPS; et
- les évaluations favorables de superviseurs et d’au moins deux clients.
Ces critères ont été établis par le comité de direction de l’ACPS et tendent à s’arrimer avec ceux originalement établis par l’AASP (notons d’ailleurs que l’AASP a récemment reçu l’accréditation de la National Commission for Certifying Agencies, ce qui n’est pas encore le cas pour l’ACPS). L’appliquant qui souhaite faire une demande pour devenir membre professionnel de l’ACPS doit s’engager à respecter le code d’éthique de l’ACPS et fournir un dossier comprenant des preuves avec attestation témoignant de l’atteinte des exigences. Chaque application fait l’objet d’une évaluation rigoureuse de la part du comité d’évaluation de l’ACPS. Remarquons qu’à ce jour, certains CPM sont engagés ou par des organisations et des centres sportifs nationaux (ex. : le Comité olympique), provinciaux (ex. : l’Institut national du sport du Québec) et régionaux (ex. : Excellence sportive Québec-Lévis) ou travaillent pour eux sans être membres de l’ACPS. Il est recommandé à ces intervenants de chercher à satisfaire les exigences pour devenir membres de l’ACPS.
Les CPM détiennent habituellement une formation de premier cycle en sciences du sport (ex. : en kinésiologie ou en éducation physique) ou en psychologie, suivie d’une formation aux cycles supérieurs en psychopédagogie ou en sciences du sport. Pour leur part, les PSS détiennent un diplôme en psychologie menant au permis de psychologue délivré par l’OPQ. Tel que le recommandent l’ACPS et l’APA, le PSS se doit d’achever une formation complémentaire en sciences du sport et de l’activité physique, en plus des 400 heures de stages (200 heures en contexte sportif) supervisées par un membre professionnel de l’ACPS.
Le parcours de formation suggéré par l’ACPS est difficile à effectuer au Québec, hormis en ce qui concerne l’obtention d’un diplôme universitaire supplémentaire ou la possibilité de suivre des cours hors champ en psychologie du sport. À cet effet, un obstacle important à la formation des CPM et des PSS au Québec concerne l’absence de programme de formation universitaire spécialisé en psychologie du sport. De plus, les stages reconnus à la fois par l’ACPS et par l’OPQ se font très rares. Ainsi, à l’heure actuelle, au Québec, une personne souhaitant devenir CPM ou PSS doit se bâtir une formation sur mesure en suivant les recommandations de l’ACPS. Une autre option serait de suivre une formation à l’extérieur de la province. Par exemple, l’Université d’Ottawa offre un programme de maîtrise en activité physique axé sur l’intervention et la concentration, basé sur les critères de l’ACPS (incluant un stage) et menant au titre de CPM (mais pas à celui de PSS).
Quel est le rôle du CPM par rapport à celui du PSS?
La distinction entre le travail du CPM et celui du PSS est souvent méconnue du public. Simplement dit, la spécialité du CPM se situe généralement dans la préparation mentale des athlètes, suivant une approche éducative, alors que le PSS peut, en plus de la préparation mentale, intervenir lorsqu’il y a des difficultés psychologiques nécessitant une évaluation et des interventions cliniques.
Plus spécifiquement, le CPM travaille principalement auprès d’une équipe sportive lorsque le financement le permet, ou encore en pratique privée. Son travail consiste à offrir des ateliers ou des conférences aux organisations sportives ainsi que des rencontres individuelles aux athlètes, à leurs parents ou aux entraîneurs. Ces interventions ciblent principalement l’entraînement des habiletés mentales telles que l’imagerie, le discours interne, la fixation d’objectifs, la gestion du stress et l’optimisation de la concentration, dans le but de maximiser la performance et le bien-être psychologique des athlètes. Le champ de pratique du PSS peut être le même que celui du CPM, puisque lorsqu’il a suivi une formation appropriée, ses interventions peuvent relever de l’entraînement aux habiletés mentales. Toutefois, la formation en psychologie clinique du PSS lui offre la latitude pour intervenir afin d’évaluer et de traiter des symptômes reliés à des difficultés psychologiques, alors que le CPM, n’étant pas psychologue, devra automatiquement référer à un professionnel qualifié dans ces cas. De plus, il est généralement plus facile pour le PSS, qui est psychologue, d’être embauché dans une institution publique (ex. : une école) puisqu’il est habileté à exercer certaines activités réservées (ex. : la psychothérapie).
La collaboration entre le CPM et le PSS
Même si, d’apparence, on pourrait croire que la différence entre la formation et le champ de pratique du CPM et du PSS peut engendrer une rivalité entre ces deux types d’intervenants, dans les faits, ils sont souvent amenés à collaborer. Par exemple, certains CPM travaillent avec plusieurs athlètes d’une même équipe sportive, et ont ainsi un lien privilégié avec ceux-ci, avec l’entraîneur et avec toute l’équipe de soutien gravitant autour. Le CPM est donc bien placé pour être alerté (ex. : par lui-même, par l’athlète, par son entraîneur) de la présence de difficultés psychologiques ou de besoins nécessitant l’intervention d’un PSS. Avec l’accord de l’athlète, le CPM peut alors l’orienter vers un PSS de confiance qui pourra aborder avec l’athlète les motifs qui ne peuvent être traités par le CPM ou encore ceux que l’athlète souhaite aborder avec un professionnel n’étant pas autant impliqué dans son équipe sportive. Inversement, un PSS ayant, par exemple, évalué et traité un trouble alimentaire chez un athlète de plongeon, pourrait lui suggérer un suivi avec un CPM pour l’entraînement d’une habileté mentale très concrète liée à son sport (ex. : la pratique d’une routine de performance avant le saut du trois mètres). Dans ces deux situations, le CPM et le PSS, avec le consentement du client, pourront communiquer et s’entendre sur un plan d’action spécifiant les rôles de chacun, et ce, dans l’intérêt supérieur de l’athlète.
Quels sont les défis des CPM et des PSS?
Bien que certains défis soient spécifiques à l’un ou l’autre des types d’intervenants, les principaux obstacles semblent communs. Un défi spécifique rencontré par les CPM concerne le contexte de pratique, qui peut souvent s’apparenter à de la psychothérapie (c.-à-d. entretiens individuels, assis l’un devant l’autre). Dans un tel contexte, les CPM doivent être prudents quant aux interventions prodiguées, afin d’éviter d’interférer avec les actes réservés aux psychologues. Un tel manque de balises entourant le travail du CPM peut amener ces intervenants à se sentir surveillés dans leur pratique ou encore à se sentir limités dans leurs interventions. Un autre défi spécifique rencontré par les CPM concerne les situations où un de leurs clients présente des symptômes cliniques qui nécessiteraient l’intervention d’un professionnel en santé mentale. Dans ces situations, les clients peuvent être portés à vouloir obtenir de l’aide du CPM, étant donné le lien de confiance déjà établi. Il est alors de la responsabilité du CPM de détecter une telle situation et de guider son client vers les services appropriés en préservant la confidentialité et le lien de confiance. Enfin, puisque le titre de CPM n’est pas réservé et qu’il n’existe pas de certification professionnelle pour les CPM au Canada, certaines personnes peuvent s’improviser CPM sans avoir la formation requise (et sans être membres de l’ACPS), ce qui peut nuire à la crédibilité de la profession.
Quant aux PSS, ils font face à une série d’obstacles qui entravent aussi le travail des CPM. Un défi récurrent pour les deux types d’intervenants concerne les attentes des clients, car ceux-ci souhaitent voir rapidement des résultats dans leurs performances sportives; cela met une pression importante sur les intervenants. De plus, les études démontrent que les athlètes préfèrent des psychologues qui ont une connaissance et des expériences liées au sport lorsqu’ils doivent consulter pour des motifs d’ordre psychologique, en comparaison avec des psychologues cliniciens non spécialisés en sport (Fortin-Guichard, Boudreault, Gagnon et Trottier, 2017; López et Levy, 2013). Or, peu de PSS sont membres de l’ACPS et pratiquent au Québec et au Canada. De fait, le manque de ressources spécialisées en santé mentale pour les athlètes en Amérique du Nord représente un enjeu important et un obstacle au bien-être psychologique des athlètes (Van Slingerland et coll., 2019). Ce manque de ressources concerne non seulement le faible nombre de PSS, mais également le manque d’outils d’évaluation validés et d’interventions psychologiques qui s’avèrent spécifiques à la clientèle sportive.
Conclusion
La formation des CPM et des PSS diffère, ce qui a des implications sur leur expertise et leur champ de pratique respectifs. L’absence de programme de formation spécialisée au Québec, une méconnaissance du public et des médias concernant le champ de pratique des CPM et des PSS et la présence d’intervenants ne respectant pas les recommandations liées à la formation limitent le positionnement de la psychologie du sport en tant que discipline établie. Heureusement, les efforts de l’ACPS pour uniformiser la formation et une meilleure reconnaissance de l’importance des facteurs psychologiques par les milieux sportifs, combinés aux avancées scientifiques montrant les bénéfices des interventions en psychologie du sport, contribuent à l’essor de la discipline. Dans les prochaines années, une augmentation du nombre de psychologues qui se spécialiseront en sport aidera à la reconnaissance de la psychologie du sport comme champ d’expertise unique et spécialisé. Pour y arriver, il est nécessaire que les universités et les départements de psychologie s’impliquent dans le développement de cette expertise, en offrant des cours, des laboratoires et des stages spécialisés en sport. Des collaborations avec les départements de sciences du sport sont requises pour qu’une telle initiative soit cohérente avec la nécessité de demeurer sensibles à la réalité unique du contexte sportif et de la performance.
Référence et bibliographie
Référence
- Les lignes directrices de l’APA quant à la formation requise pour les psychologues voulant se spécialiser en sport sont disponibles à https://www.apa.org/about/division/div47.
Bibliographie
- American Psychological Association Division 47. (2009). What is exercise and sport psychology?
- Fortin-Guichard, D., Boudreault, V., Gagnon, S., et Trottier C. (2017). Experience, effectiveness, and perceptions toward sport psychology consultants: A critical review of peer-reviewed articles. Journal of Applied Sport Psychology, 30(1), 3-22.
- López, R. L. et J. J. Levy (2013). Student athletes’ perceived barriers to and preferences for seeking counseling. Journal of College Counseling, 16(1), 19-31.
- Quartiroli, A. (2014). The perceived value of the association for applied sport psychology certification and certification exam: A survey of sport and exercise psychology professionals. Athletic Insight, 6(3), 245-260.
- Van Slingerland, K. J., Durand-Bush, N., Bradley, L., Goldfield, G., Archambault, R., Smith,D., Edwards, C., Delenardo, S., Taylor, S., Werthner, P., et Kenttä, G. (2019). Canadian centre for mental health and sport (CCMHS) position statement: Principles of mental health in competitive and high-performance sport. Clinical Journal of Sport Medicine, 29(3), 173-180.