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Troubles mentaux sévères et risque de violence : évaluation et interventions

Dre Isabelle Marleau, psychologue et directrice de la qualité et du développement de la pratique sortante de l'Ordre des psychologue du Québec.


La plupart des psychologues peuvent être confrontés, durant leur carrière, à des personnes souffrant d’un trouble mental sévère (TMS). Pourquoi certaines personnes commettent une agression ou passent à l’acte violent alors que d’autres ne le font pas? Comment les psychologues peuventils bien évaluer le risque de violence afin d’aider leurs clients? Et comment peuvent-ils combattre la conception erronée selon laquelle les personnes atteintes d’un TMS sont nécessairement violentes (Swanson et al., 2021)? En effet, l’idée que les personnes atteintes d’un TMS sont largement responsables des incidents de violence de masse ainsi que de la violence communautaire n’est pas soutenue par la recherche. Or, cette question est complexe et mérite que nous recensions ce que la littérature scientifique en dit.

L’état des connaissances

Les personnes souffrant d’un TMS (on y inclut les troubles dépressifs, les troubles bipolaires et les troubles du spectre de la schizophrénie et autres troubles psychotiques) sont un peu plus susceptibles de commettre des actes de violence que les personnes n’en souffrant pas. Une étude rapporte que 2,9 % des personnes souffrant d’un TMS ont commis un acte violent entre deux et quatre ans après le début de l’étude, contre 0,8 % des personnes ne souffrant pas d’un TMS ou d’un trouble lié à l’utilisation de substances. Or, 10 % des personnes souffrant à la fois d’un TMS et d’un trouble lié à l’utilisation de substances ont commis de tels actes au cours de la même période (Van Dorn et al., 2012).

En ce qui concerne la violence de masse, les études montrent que lorsqu’il y a une fusillade, elle est habituellement commise par une ou des personnes ne souffrant pas d’un TMS (Swanson et al., 2021)1. On retiendra également que l’accès aux armes à feu constitue un facteur de risque de suicide, et non de violence, chez les personnes souffrant d’un TMS (Baumann et Teasdale, 2018).

La situation est donc complexe : il existe un lien entre la santé mentale et la violence, mais la plupart des personnes souffrant d’un TMS ne sont pas violentes et lorsqu’elles commettent des actes violents ou agressifs, d’autres facteurs sont souvent en jeu. L’usage de substances psychoactives ainsi que des facteurs contextuels jouent un rôle dans le passage à l’acte violent. Notamment, une étude révèle que seuls deux symptômes cliniques sont associés à des actes violents chez des patients hospitalisés en psychiatrie : les hallucinations auditives impératives, c’est-àdire les voix qui ordonnent à une personne de faire du mal à autrui, et ce que les auteurs nomment la psychopathie, soit un manque d’empathie, un mauvais contrôle des impulsions et des comportements antisociaux (University of Virginia School of Law, s. d.)2. Selon cette étude, les antécédents de violence, les sévices physiques subis pendant l’enfance, le fait d’avoir un père toxicomane ou criminel, la manifestation d’un comportement antisocial et la tendance à l’expression de la colère sont aussi susceptibles de jouer un rôle. Une autre conclusion est d’ordre environnemental : lorsque des patients atteints d’un TMS, mais sortis de l’hôpital et ne souffrant pas de troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives sont comparés avec des personnes vivant dans le même quartier, leurs taux de violence sont équivalents.

L’évaluation des facteurs de risque

On s’est aussi intéressé aux forces internes et situationnelles susceptibles de pousser les personnes atteintes d’un TMS à commettre des actes de violence. Des données épidémiologiques ont examiné le rôle de trois types de facteurs de risque : l’impulsivité dispositionnelle (facteurs internes tels que la colère et les menaces perçues), l’impulsivité situationnelle (facteurs contextuels tels que le divorce ou la séparation, les problèmes financiers ou la victimisation) et la désinhibition (facteurs externes tels que l’intoxication par les drogues ou l’alcool) (Elbogen et al., 2016; Quinsey et al., 2006). Une fois ces facteurs éliminés, la relation entre la violence et le trouble mental est atténuée : l’étude d’Elbogen et ses collègues (2016) montre que les participants atteints d’un TMS sont moins susceptibles de commettre des actes violents que ceux qui n’en sont pas atteints. Par ailleurs, d’autres ont pu montrer que des facteurs dispositionnels autant que situationnels peuvent mener à la violence répétée (Harris et Teasdale, 2021).

Quelques limites de la recherche actuelle

Malgré des progrès significatifs, la recherche ne fait pas encore consensus. Certaines études établissent des liens plus étroits que d’autres entre la violence et le trouble mental, tandis que d’autres ne trouvent aucune relation. Plusieurs raisons expliquent ces différences, notamment le fait que les échantillons sont composés de populations différentes ainsi que des définitions et des variables différentes pour mesurer la violence et les troubles mentaux. Certaines études incluent des actes d’agression relativement mineurs, tandis que d’autres se concentrent exclusivement sur des actes d’une grande violence. De même pour les troubles mentaux : certaines études sur la schizophrénie et la violence ne prennent en compte que les symptômes positifs, comme les hallucinations. D’autres études montrent que les symptômes négatifs, comme l’apathie et la perte de motivation, sont associés à des taux de violence plus faibles (Swanson et al., 2006). Peu d’études mentionnent l’ethnie des participants et, lorsqu’elles le font, les échantillons comprennent principalement des Caucasiens. Aussi, les types et les taux de violence des patients contre leurs proches varient d’une étude à l’autre : alors que certaines études se concentrent sur la violence physique, d’autres incluent plusieurs types. Les études sont donc hétérogènes quant aux mesures de la violence, aux périodes évaluées, aux diagnostics des patients et aux types de relations familiales. Cela peut rendre compte de la variation des taux observés et empêcher de tirer des conclusions, notamment sur le type de violence le plus répandu (Wildman et al., 2023).

Bon nombre d’études, de revues de littérature et de méta-analyses s’appuient sur des données collectées à l’origine pour d’autres études, et non dans le but spécifique d’étudier la relation entre le trouble mental et la violence (Appelbaum, 2019). Davantage d’études prospectives utilisant la violence comme mesure principale des résultats et suffisamment puissantes pour identifier l’éventail des facteurs de risque sont nécessaires afin de produire un modèle intégré.

Les symptômes associés au comportement violent

Cela dit, certains symptômes présents dans les TMS sont associés à la violence ou à l’agression : ils méritent notre attention. Avant tout, la grandiosité, caractéristique des phases maniaques et hypomaniaques du trouble bipolaire. Les personnes peuvent être envahies par un sentiment exagéré de leur propre pouvoir qui entrave leur capacité d’empathie et favorise un sentiment de droit, y compris celui de profiter ou d’exploiter autrui (Swanson et al., 2006).

Le niveau élevé d’énergie qui accompagne souvent la manie peut conduire à la violence ou à l’agression. Une étude a révélé que 3 % des crimes commis par des personnes présentant des comportements de délinquance et atteintes d’un trouble mental étaient directement liés à la dépression, 4 % à la psychose et 10 % au trouble bipolaire (Peterson et al., 2014).

Il faut aussi considérer les symptômes positifs de la psychose, comme les hallucinations auditives impératives (par exemple, des voix qui ordonnent de faire du mal à quelqu’un) et les délires de persécution (par exemple croire que quelqu’un a placé des implants dans sa tête). On a ainsi pu conclure que les délires qui induisent de la colère constituent un facteur clé vers la violence et l’agression. Spécifiquement, les délires associés à un affect de colère (notamment, être espionné, être suivi, être victime de complot, être sous le contrôle d’une personne/force et avoir des pouvoirs spéciaux) conduisaient davantage vers la violence et l’agression (Ullrich et al., 2014).

La violence chez les personnes atteintes d’un TMS va souvent de pair avec des antécédents de troubles du comportement. Les personnes atteintes de schizophrénie seraient deux fois plus susceptibles de commettre des actes violents si elles ont des antécédents de troubles du comportement durant l’enfance (Swanson et al., 2008). Le diagnostic de trouble de la personnalité antisociale doit aussi être considéré. Comme il s’agit d’un trouble de la personnalité et non d’un TMS, les personnes atteintes sont souvent exclues des études. D’ailleurs, chez les patients ayant commis un acte violent qui répondaient aux critères du trouble de la personnalité antisociale et qui avaient des antécédents de problèmes de comportement ainsi que des difficultés de gestion de la colère, seuls 12 % avaient présenté des symptômes psychotiques avant de commettre l’acte de violence (Skeem et al., 2016).

L’évaluation du risque de violence doit tenir compte des facteurs individuels autant que des facteurs contextuels qui peuvent conduire à la violence, comme le fait d’avoir été licencié ou d’avoir subi des violences domestiques, pour en arriver à un jugement clinique nuancé. Dans l’évaluation du risque, le psychologue doit, en plus de poser des questions sur l’idéation et l’intention violentes, tenir compte de la perception qu’a un individu de son risque. Le clinicien doit tenir compte de la capacité mentale du patient à faire des choix raisonnés pour adopter un comportement sûr par rapport à sa tendance à l’impulsivité. Il doit évaluer l’accès de l’individu aux armes et son intention de les utiliser, la dynamique émotionnelle (colère, honte, désespoir et peur), ainsi que la motivation à s’abstenir d’agir de manière violente. Plus encore, en abordant les plans de sécurité pour atténuer les risques, le psychologue vérifie l’alliance de l’individu avec ceux qui lui donnent des soins et le réseau de soutien communautaire. Prendre en compte toutes ces informations, puis sélectionner l’intervention la plus efficace pour réduire les risques peut représenter un défi en contexte réel, où les options et les ressources sont souvent limitées (Pinals, 2021).

Le contexte et la communauté : deux facteurs essentiels au traitement

L’évaluation des facteurs de causalité des actes de violence passés est essentielle puisque l’intervention directe sur ces facteurs peut réduire le risque futur. La toute première intervention lorsqu’une personne atteinte d’un TMS agit de manière violente ou agressive est de savoir où elle en est dans son traitement (incluant la médication). L’aider à reprendre le traitement, le cas échéant, peut apaiser une grande partie de l’agressivité ou de la violence. À cet effet, on se souviendra que les effets antihostilité des neuroleptiques atypiques, comme la clozapine, la rispéridone et l’olanzapine, ont montré leur utilité dans le traitement des symptômes positifs de la psychose (Citrome et Volavka, 2021).

Les interventions qui abordent la dynamique familiale en relation avec la violence d’un patient atteint d’un TMS sont opportunes, parce qu’environ un membre de la famille sur cinq est la cible de cette violence (Labrum et al., 2021). Au nombre des facteurs corrélés à la violence envers les membres de la famille, on relève la dépendance financière à l’égard de la famille, l’imposition de limites et la présence de critiques, d’hostilité et d’agressions verbales de part et d’autre (Labrum et al., 2021; Wildman et al., 2023). Par ailleurs, comme c’est souvent la mère qui prend soin du patient, elle est plus fréquemment la victime de la violence psychologique, verbale ou physique. Les conséquences peuvent aller de la détresse psychologique aux troubles de stress post-traumatique et mener à la détérioration des relations familiales, voire à la fragmentation de la famille (Wildman et al., 2023). Des interventions prometteuses consistent à renforcer les services de soutien visant à réduire la dépendance à l’égard des membres de la famille ou encore à agir sur la prévention et la gestion des conflits familiaux.

D’autres professionnels travaillent sur les déterminants environnementaux, situationnels et contextuels des comportements violents ou agressifs. Les équipes d’intervention de crise qui favorisent les collaborations entre policiers, intervenants en santé mentale et défenseurs de la communauté en sont un exemple3. On peut aussi souligner les programmes d’intervention destinés aux personnes ayant vécu un premier épisode de psychose qui visent à soutenir leur retour à l’école ou leur recherche d’emploi afin de favoriser leur autonomie et leur intégration sociale et d’éviter le développement de problèmes de santé mentale ultérieurs (Hilton, 2021).

Conclusion

Dans le contexte actuel, où les actes de violence et d’agression sont fortement médiatisés, les psychologues ont tout intérêt à être bien au fait des données récentes afin de pouvoir faire la part des choses, dans le but d’évaluer avec rigueur leurs patients et de les guider efficacement.

Notes et bibliographie

Notes

  1. Bien que la violence de masse puisse se traduire autrement que par des fusillades, peu d’études font le lien entre les TMS et ces autres manifestations de violence.
  2. L’étude originale est de Monahan et al. (2000).
  3. Pour en savoir plus, consulter https://www.citinternational.org/bestpracticeguide.

Bibliographie