La psychothérapie analytique de groupe : l’exemple de la Maison St-Jacques
Dr Pierre Joly, psychologue
Psychanalyste membre de la Société psychanalytique de Montréal, il pratique en bureau privé la cure analytique et la psychothérapie. Il travaille également à la Maison St-Jacques depuis 2000.
Guylaine Morin
Psychothérapeute, psychanalyste, travailleuse sociale et thérapeute conjugale et familiale, elle pratique en bureau privé auprès d’individus et de couples. Elle travaille à la Maison St-Jacques depuis 2013.
Dre Vincent Mathieu, psychologue
Il pratique en bureau privé avec une clientèle adulte et adolescente. Il travaille à la Maison St-Jacques depuis 2013.
En collaboration avec Charles Crépeau, psychoéducateur et psychothérapeute, et la Dre Geneviève Morency, psychologue.
La Maison St-Jacques est un organisme communautaire fondé en 1972, fêtant ainsi cette année son 50e anniversaire. Au départ, elle offrait principalement des services de soutien concret, voire de prise en charge de sa clientèle : hébergement, services de crise, activités sociorécréatives. Afin de s’adapter aux difficultés complexes de plusieurs de ses usagers, l’équipe de la Maison St-Jacques s’est rapidement professionnalisée et a progressivement orienté son intervention vers la psychothérapie de groupe analytique.
L’approche psychanalytique, par le refus du psychothérapeute de se positionner en expert et par la position clinique de doute et d’incertitude qu’il adopte, a beaucoup en commun avec l’approche alternative en santé mentale (voir Gagné, 1996). La Maison St-Jacques est ainsi demeurée fidèle à son passé alternatif et communautaire. Elle a gardé la parole des citoyens au cœur de son intervention tout en délimitant les frontières de son cadre thérapeutique afin de favoriser un espace symbolique d’élaboration psychique.
Ce texte présente le cadre thérapeutique de la Maison St-Jacques ainsi qu’un survol des assises théoriques qui étayent l’approche psychanalytique utilisée. Une vignette clinique est présentée afin d’illustrer cette méthode d’intervention.
Le cadre de la psychothérapie
La psychothérapie de groupe analytique à la Maison St-Jacques consiste en deux rencontres hebdomadaires de 75 ou 90 minutes, avec un ou deux psychothérapeutes. Le suivi thérapeutique est offert gratuitement à chaque individu et peut durer jusqu’à trois ans. Ce cadre permet l’exploration et la prise de conscience des liens entre les difficultés affectives ou relationnelles actuelles et l’histoire personnelle. Il vise notamment un dégagement de l’emprise du passé sur le présent. Les groupes sont lentement ouverts1, hétérogènes, mixtes et composés de six à huit personnes âgées de 18 à 50 ans.
Le demandeur d’aide à la Maison St-Jacques participe d’abord à des entrevues individuelles (généralement deux ou trois rencontres) visant à déterminer si une psychothérapie de groupe psychanalytique peut répondre à sa demande, incluant une évaluation de son intérêt à explorer ses enjeux intrapsychiques et intersubjectifs. Bien que plusieurs des participants aient reçu divers diagnostics, par exemple un trouble de la personnalité, un trouble anxieux ou un trouble de l’humeur, les diagnostics psychiatriques ne constituent pas un critère d’admission.
Lorsqu’une personne intègre un groupe de psychothérapie, elle s’engage à respecter certaines règles (Rutan et Stone, 2001) : par exemple être présente et ponctuelle à chacune des séances, traduire ses émotions en mots plutôt que de les mettre en action, éviter de fréquenter les membres du groupe à l’extérieur de l’espace de thérapie. Le non-respect d’une règle sera généralement l’occasion de favoriser un travail de représentation par une interprétation de l’agir, souvent porteur de sens. Les participants sont invités, en toute confidentialité, à parler le plus librement possible de tout ce qu’ils pensent, rêvent ou imaginent (« discussion libre et flottante », Foulkes, 1964). Un tel cadre permet de faire émerger divers transferts (Béjarano, 1972), que ce soit sur le groupe, les participants ou les psychothérapeutes, lesquels renseignent sur les formes d’organisation fantasmatique et les défenses des individus.
Assises théoriques
La théorie servant de base à ce travail thérapeutique présente le groupe comme un espace de figuration, de représentation et de transformation de contenants et de contenus psychiques. Déjà, en 1962, Bion voyait le groupe comme un appareil à penser auxiliaire. Les travaux plus récents de René Kaës (1993, 2007) permettent de mieux théoriser comment s’articulent, s'« appareillent » – Kaës parle d’« appareil psychique groupal » – à la fois le discours porté par le groupe dans son ensemble (les idées et les mots communs à plusieurs) et les psychés individuelles (les contenus psychiques propres à chaque individu). L’écoute et les interventions des psychothérapeutes portent alternativement ou simultanément sur le groupe dans sa totalité ou sur un individu particulier.
Comme le disait Bion (1974), il faut idéalement mettre de côté la théorie en séance et favoriser une écoute ouverte, « sans mémoire et sans désir », respectueuse de la réalité psychique du groupe et des individus, dans le « ici et maintenant ». Le travail psychique de mise en mots et de transformation est favorisé par l’hétérogénéité des capacités psychiques des participants et par le fait que certains arrivent à fournir mots et images à ce qui, pour d’autres, est irreprésentable. Kaës (1993) a mis en lumière l’importance des fonctions phoriques (par exemple le porte-parole, le porte-symptôme, le porte-rêve) occupées par certains individus qui se trouvent à exprimer pour eux-mêmes, mais aussi pour le groupe, des contenus psychiques importants, notamment des contenus transférentiels.
Dans l’optique psychanalytique, les interventions des psychothérapeutes visent principalement à favoriser une prise de conscience des conflits psychiques inconscients affectant les états mentaux et les relations des participants. En plus de prises de conscience et d’une meilleure compréhension de soi, d’autres facteurs thérapeutiques y jouent un rôle, comme l’universalité (le constat de ne pas être seul à vivre certains problèmes, constat favorisant les identifications) ou l’expérience correctrice (constater que d’exprimer ses pensées et ses émotions dans le groupe ne suscite pas les mêmes réactions néfastes que dans le groupe familial d’origine) (Yalom, 2005).
Illustration clinique
Une participante amorce la séance en mangeant. Un des psychothérapeutes lui rappelle qu’une des règles est de ne pas manger en séance. Elle avale rapidement sa bouchée et reste silencieuse par la suite. Un participant parle du plaisir qu’il a ressenti récemment à observer sa fillette fière de peler toute seule une clémentine. Il souligne l’importance pour son enfant d’être observée dans le développement de son autonomie. Une participante dit qu’elle anticipe avec angoisse de revoir son père qui fut violent envers elle durant son enfance, mais qui lui accordait aussi beaucoup d’attention. S’ensuivent des associations et des représentations autour de l’idée de ne pas avoir été nourri par un parent bienveillant ou, au contraire, d’avoir dû répondre aux exigences d’un parent abusif par ses demandes ou sa violence. Il est question de la difficulté à devenir autonome dans la vie, de l’espoir ou du désespoir de vivre des liens satisfaisants.
Comme cela arrive fréquemment, une action sous forme de bris de règle est suivie d’un travail de représentation et de réflexion. Manger dans la séance est-il, pour la participante, sa façon de défier les psychothérapeutes qui, dans le transfert, sont assimilés à l’autorité parentale exigeante et abusive de son enfance? Veut-elle leur signifier que le groupe ou les psychothérapeutes ne la nourrissent pas suffisamment de leur attention, de leurs paroles éclairantes ou apaisantes? Par son action, elle fait possiblement fonction de porte-parole ou de porte-symptôme pour les participants qui peuvent trouver inconsciemment le cadre thérapeutique et les thérapeutes abusifs, exigeants, négligents. On constate de nombreux mouvements d’identification autour de l’enfant, du parent et de leurs liens.
S’appuyant sur son écoute des manifestations de l’inconscient, sensible à ses propres mouvements contre-transférentiels, tenant compte de l’histoire du groupe, un psychothérapeute fait éventuellement une intervention. Il utilise la métaphore de la clémentine de façon polysémique pour souligner les points communs et quelques enjeux individuels reliés au besoin d’être nourri (par de l’attention ou de l’affection) et au lien parents-enfants (ou participants-psychothérapeutes), lien parfois très conflictuel, angoissant, chargé émotivement (incluant exigences excessives, négligence ou abus). Le groupe offre une scène précieuse pour élaborer les représentations qu’ont les participants d’eux-mêmes et des autres, incluant des aspects jusque-là inconscients, permettant de constater qu’ils peuvent s’exprimer pleinement sans revivre la répétition de leur passé de façon identique. Ce qui était projeté sur la réalité externe peut alors être réapproprié comme une réalité subjective potentiellement transformable.
Conclusion
Les psychothérapeutes jouent certes un rôle important dans le travail de groupe, mais il ne faut pas sous-estimer la force thérapeutique du groupe en lui-même (Knauss, 2009). Les psychothérapeutes ont pour fonction d’accompagner le travail introspectif des membres du groupe, non de diriger leur discours. La psychothérapie psychanalytique de groupe offerte à la Maison St-Jacques vise à favoriser chez ses usagers une meilleure représentation de leur vie intrapsychique par l’élaboration des expériences intersubjectives de chacun. Ainsi, chacun des membres du groupe chemine dans l’acquisition de son autonomie et de sa singularité par la reconnaissance de sa place dans le collectif.
Note
1. Intégration d’un nouveau participant lorsqu’une place se libère dans le groupe.
Bibliographie
Béjarano, A. (1972). Résistance et transfert dans les groupes, dans Anzieu, D., Béjarano, A. et al., Le travail psychanalytique dans les groupes. Paris, Dunod.
Bion, W. R. (1962). Learning from Experience. Londres, Tavistock.
Bion, W. R. (1974). L’attention et l’interprétation. Une approche scientifique de la compréhension intuitive en psychanalyse et dans les groupes. Paris, Payot.
Foulkes, S. H. (1964). La groupe-analyse : psychothérapie et analyse de groupe. Paris, Payot.
Gagné, J. (1996). L’approche alternative en santé mentale. Nouvelles pratiques sociales, 9(2), 137-146.
Kaës, R. (1993). Le groupe et le sujet du groupe. Éléments pour une théorie psychanalytique des groupes. Paris, Dunod.
Kaës, R. (2007). Un singulier pluriel. Paris, Dunod.
Knauss, W. (2009). Le groupe comme thérapeute. Pourquoi faut-il un analyste de groupe. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 52, 31-43.
Rutan, J. S. et Stone, W. N. (2001). Psychodynamic Group Psychotherapy (3e éd). New York, Guilford Press.
Yalom, I. D. (2005). The Theory and Practice of Group Psychotherapy. New York, Basic Books.