L’action communautaire auprès des enfants, des parents et des familles au Québec
Directrice du laboratoire Connaissances à l'UQTR, la Dre Mailloux se spécialise en psychologie qualitative, théorique et philosophique appliquée à la vie familiale.
Titulaire d'un doctorat en psychologie communautaire, Mme Poissant est professeure externe au Département de psychologie de l’UQAM. Ses travaux portent sur la santé développementale de la conception à 8 ans et visent la réduction des inégalités sociales.
Titulaire d'un doctorat en psychologie (profil recherche), Mme Brunson est professeure au Département de psychologie de l'UQAM. Elle s’intéresse aux environnements favorables à la santé et au bien-être des enfants et de leur famille.
Avec la collaboration du Dr Carl Lacharité, psychologue et professeur émérite en psychologie de l’enfant et de la famille à l'UQTR.
Au Québec, un vaste réseau d’organismes communautaires autonomes accueille et accompagne les familles dans une diversité de contextes souvent marqués par des enjeux sociaux, économiques ou relationnels complexes. Ces « organismes communautaires famille » (OCF), aussi appelés « maisons des familles », font partie d’un mouvement qui a pour but de transformer la société dans laquelle nous vivons. Ils visent à améliorer les conditions de vie des familles et à renforcer la qualité du tissu social québécois. Ils proposent des espaces d’entraide, de soutien et de mobilisation qui visent à renforcer le pouvoir d’agir des familles et à favoriser leur épanouissement. Ces organismes représentent un puissant complément à l’aide spécialisée que les psychologues offrent aux enfants et aux parents, quelle que soit leur approche d’intervention. Bien qu’ils ne se réclament pas explicitement de la psychologie communautaire, leur fonctionnement repose sur des principes qui y font écho : participation citoyenne, approche écologique des problématiques, valorisation de l’expertise vécue, coconstruction des savoirs et enracinement dans les milieux de vie. En retraçant les contours de ce mouvement, nous espérons nourrir la réflexion des psychologues sur les façons d’accompagner les familles en misant sur leurs forces, leur ancrage dans la communauté et leur capacité collective à faire face aux défis.
L’histoire des OCF
Émergeant à partir des années 1940, les OCF sont actuellement au nombre de 278. Leur mission est soutenue par le ministère de la Famille (ISQ, 2024). Certains se concentrent sur une mission d’action communautaire autonome, tandis que d’autres ont une double, voire une triple mission, intégrant celles des centres de ressources périnatales et des centres de pédiatrie sociale en communauté. Puisque tous les OCF ont émergé à l’initiative de leur communauté locale et s’adaptent à ses besoins, chacun de ces organismes est unique par ses ressources, ses activités, ses horaires, ses lieux et ses partenaires. L’Enquête québécoise sur les OCF (ISQ, 2024) montre qu’en 2023, environ 220 000 parents ayant un enfant de 17 ans ou moins (c’est-à-dire 15 % de cette population), de toutes classes sociales, de tous les niveaux d’éducation, peu importe leur structure familiale et leurs origines, ont fréquenté un OCF, et que cette fréquentation est en croissance. Les OCF sont donc des lieux de mixité sociale : on y trouve des familles en situation de précarité et d’autres qui ne le sont pas. Les familles les fréquentent principalement pour briser leur isolement et partager leurs préoccupations par rapport au développement des enfants ou aux relations parent-enfant, puis pour obtenir du soutien en ce qui concerne la précarité socioéconomique ou la détresse psychologique. Enfin, presque tous les OCF accueillent des familles immigrantes ou des familles dont les enfants ont des besoins particuliers, et le tiers d’entre eux accueille des familles autochtones. Depuis 2016, le réseau des OCF s’est doté d’un cadre de référence qui circonscrit les fondements, les valeurs et les pratiques de l’Action communautaire autonome famille (ACAF; Fédération québécoise des organismes communautaires famille [FQOCF], 2016).
Les valeurs et les pratiques
Les OCF s’appuient sur des valeurs et des convictions qui considèrent la famille, sous toutes ses formes, comme une richesse collective qui apporte des contributions fondamentales à la société québécoise. Ainsi, l’ACAF met en lumière les ressources et les forces individuelles et collectives des familles plutôt que leurs lacunes ou leurs déficits. Elle considère que le pouvoir d’agir des familles est indispensable au développement de sociétés plus justes. Pour exercer ce pouvoir, elles doivent avoir la possibilité d’influencer la disponibilité et l’accessibilité des ressources, de même que la volonté et la capacité de prendre le contrôle de leur destinée (Le Bossé, 2003). À cet égard, les OCF constituent des lieux où la justice sociale prend forme de manière concrète.
Grâce à ces valeurs, la relation qui s’établit entre les personnes intervenantes et les familles est de nature égalitaire. Elle reconnaît les diverses formes de savoirs et d’expériences qui entrent en jeu. Par ailleurs, ces organismes sont plus enclins à réaliser leur offre aux familles sous la forme d’activités, d’accompagnement ou de soutien plutôt que de services. Ainsi, l’entraide joue un rôle central et favorise l’émergence d’une « intelligence de familles », ce que les OCF appellent de l’« entre-familles » (Lacharité et al., 2019).
Les ramifications de cette approche sont multiples : de la participation de parents à l’animation d’activités jusqu’à leur engagement à l’intérieur de la structure organisationnelle de l’organisme en passant par leur implication dans des actions citoyennes et des comités responsables de la lecture des besoins et de la programmation de l’offre d’activités. Plus récemment, ces organismes se sont engagés dans le renforcement du travail de proximité auprès de familles isolées à l’intérieur de leur communauté locale (Lacharité et al., 2024).
Les OCF misent également sur les collaborations et les partenariats avec les autres organisations de services s’intéressant aux familles et aux enfants, qui constituent une dimension essentielle de leur fonctionnement (ISQ, 2024). Leurs principaux partenaires sont les autres organismes communautaires, les CIUSSS et CISSS, les écoles, les municipalités, la Direction de la protection de la jeunesse, les services de garde éducatifs et les centres de pédiatrie sociale en communauté. La plupart d’entre eux consacrent plus de 10 heures par mois à des instances de concertation locales ou régionales (Lacharité et al., 2019) : petite enfance, prévention et promotion de la santé, jeunesse et persévérance scolaire. De plus, les OCF réfèrent des familles à l’ensemble de leurs partenaires, et leurs partenaires leur en confient également.
Les fondements
Les OCF se caractérisent par un continuum d’accompagnement des familles tout au long de leur parcours de vie reposant sur des pratiques et des actions diversifiées et cohérentes dans le temps, qui s'appuient sur trois fondements.
Le premier fondement de l’ACAF est l’établissement d’un « milieu de vie » dans les OCF. Dans ces lieux à taille humaine, grâce à des activités variées, les personnes qui y travaillent créent un milieu accueillant et dynamique où il y a du temps et un cadre pour participer, contribuer, discuter, se déposer et créer des liens avec d’autres familles. Le travail des OCF repose sur des activités programmées tout autant que sur des actions dites informelles avec les familles. Ces dernières constituent la base de leur milieu de vie. Bien que cette approche exige une organisation particulièrement flexible du travail, l’établissement d’un milieu de vie demeure essentiel à la réalisation de la mission des OCF, ce qui permet d’accueillir et de soutenir individuellement les parents et les enfants et de créer du temps et de l’espace pour que les parents puissent échanger et s’entraider, participer à la vie associative de l’organisme et s’impliquer dans des actions collectives visant une transformation sociale (Lacharité et al., 2019). Par ailleurs, leurs activités n’ont pas lieu que dans leur organisme, mais aussi dans la communauté : 40 % des OCF emploient des personnes intervenantes qui travaillent essentiellement à l’extérieur de l’organisme, le tiers d’entre eux a au moins un point de service localisé à un autre endroit que le bâtiment principal, et la moitié offrent des visites à domicile.
Un deuxième fondement de l’ACAF est l’enrichissement de l’expérience parentale, qui consiste à valoriser les compétences et les expériences des parents plutôt que de leur enseigner des habiletés. Ainsi, la plupart des OCF offrent des activités parent-enfant, des ateliers thématiques pour parents, des sorties familiales, du soutien téléphonique et des cafés-rencontres. Les trois quarts d’entre eux ont une halte-garderie communautaire et offrent du soutien psychosocial individuel. Plus de la moitié offre de l’aide alimentaire ou matérielle ainsi que des cuisines collectives, tandis qu’environ le tiers ont des camps de jour ou de l’aide aux devoirs (ISQ, 2024).
Un troisième fondement de l’ACAF est l’éducation populaire inspirée d’une approche participative et émancipatrice. Celle-ci s’appuie notamment sur des démarches de conscientisation impliquant un travail collectif à long terme fondé sur le dialogue, la réflexion et l’action. Dans ce processus, les personnes sont amenées à prendre conscience de l’impact d’un enjeu collectif sur leur groupe ainsi que sur leur vie personnelle et familiale, puis à s’engager dans des actions visant un changement social relativement à cet enjeu. Cette version de l’éducation populaire repose également sur la participation active des personnes à la vie démocratique et à la gouvernance de leur organisation, ce qui renforce leur pouvoir d’agir et leur capacité à transformer leur milieu.
Conclusion
L’ACAF constitue aujourd’hui une ressource incontournable de l’écosystème et du continuum québécois de services aux familles. Ce mouvement est également caractérisé par son haut niveau d’engagement en recherche, qui s’est concrétisé en 2023 par la création du Groupe de recherche Action communautaire et Famille (GRACeF), dont les auteurs de cet article font partie. À l’heure où les pratiques cliniques sont appelées à se renouveler pour mieux répondre à la complexité des réalités sociales, il nous semble pertinent de faire connaître ces lieux d’intervention alternatifs, qui soutiennent les familles sans recourir systématiquement à des modèles individualisants ou pathologisants.
Bibliographie
- Fédération québécoise des organismes communautaires Famille (FQOCF). (2016). Trousse de référence et d’animation sur l’action communautaire autonome Famille (ACAF).
- Institut de la statistique du Québec (ISQ). (2024). Enquête québécoise auprès des organismes communautaires Famille – 2023.
- Lacharité, C., Gagnier, J. P., Mailloux, D., Baker, M., Lafantaisie, V., Gervais, C., Déziel, N., Poirier, J. et Rasmussen, H. (2019). Faire communauté autour et avec les familles au Québec. Les organismes communautaires Famille, un réseau innovant et mobilisant. Rapport de recherche présenté à l’organisme Avenir d’enfants.
- Lacharité, C., Mailloux, D., Lafantaisie, V., Baker-Lacharité, A. et Rasmussen, H. (2024). Devis d’évaluation 2022-2025. Implantation et retombées du projet pilote de travail de proximité auprès de familles isolées ayant de jeunes enfants. Document inédit. Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et la famille, Université du Québec à Trois-Rivières.
- Le Bossé, Y. (2003). De l’« habilitation » au « pouvoir d’agir » : vers une appréhension plus circonscrite de la notion d’empowerment. Nouvelles pratiques sociales, 16(2), 30-51.