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Problématiques de santé mentale rencontrées au sein de l’élite sportive

Dre Suzanne Comeau, psychologue
Au moment d'écrire cet article, la Dre Comeau exerçait en santé mentale jeunesse au Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre. Elle a travaillé plusieurs années comme entraîneuse au secteur développement et jeune élite au sein des sports de trampoline. Elle oeuvre maintenant à la Commission scolaire des patriotes.


L’activité physique et sportive est de plus en plus considérée dans le traitement des problèmes de santé physique et mentale. À bon dosage, elle s’accompagne de plusieurs effets bénéfiques, tels qu’une réduction des symptômes dépressifs (Babyak et coll., 2000). Il serait toutefois mal avisé de conclure que les athlètes sont immunisés contre les psychopathologies. La population sportive se distingue en plusieurs points de la population générale, notamment en raison du risque de blessures, des nombreux facteurs de stress auxquels elle est confrontée et du souci accordé au corps en tant qu’instrument de performance. Si, longtemps, il a été difficile d’établir la prévalence des problématiques de santé mentale et leurs manifestations chez les athlètes, plusieurs recherches récentes font état de symptômes significativement élevés qu’on ne peut passer sous silence (MacIntyre et coll., 2017). Malgré le fait que les études disponibles comportent diverses lacunes méthodologiques (Rice et coll., 2016) et que cela rend les comparaisons avec la population générale difficiles (Reardon et coll., 2019), certains constats émergent. Dans le présent texte, les problématiques de santé mentale documentées chez les athlètes et leur prévalence seront exposées, en portant attention aux différences sexuelles et aux facteurs de risque spécifiques à l’environnement sportif.

La majorité des études disponibles ayant été menées auprès d’athlètes d’élite, de niveau national, international ou professionnel, le lecteur doit par conséquent interpréter avec précaution les données de ce texte quand il s’agit de les généraliser à un autre contexte sportif. Si les recherches s’attardent plus particulièrement à l’athlète d’élite qu’aux autres, c’est parce que cette catégorie serait particulièrement vulnérable (Michel, Purper-Ouakil, Leheuzey et Mouren-Simeoni, 2003). Parmi les facteurs susceptibles d’affecter négativement la santé mentale du sportif d’élite, plusieurs auteurs rapportent : l’accumulation d’événements stressants, une forte pression sociale, les blessures, les mauvais résultats, l’intensité des entraînements, les périodes de transition, les relations difficiles avec les entraîneurs, les membres de l’équipe et les partisans ainsi que les expériences d’abus, de harcèlement, de discrimination ou d’exposition à la violence (Rice et coll., 2016; Salmi, Pichard et Jousselin, 2010; Schaal et coll., 2011; Schinke, Stambulova, Si et Moore, 2018). Il est à noter que ces facteurs sont loin d’être toujours présents, mais, lorsqu’ils le sont, l’athlète risque fortement de s’en trouver fragilisé.

La présence de psychopathologies serait d’ailleurs courante chez les sportifs de haut niveau. En effet, une étude menée auprès d’athlètes de niveau international indique que 58 % des sportifs avaient un trouble de santé mentale lors d’un bilan d’évaluation psychologique obligatoire mené par un médecin ou un psychologue (Salmi et coll., 2010). Cette étude atteste de la présence de troubles anxieux, d’épisodes dépressifs, de troubles de dépendance, de troubles alimentaires et, plus rarement, de troubles psychotiques chez les athlètes (Salmi et coll., 2010). L’occurrence de ces différents troubles ne serait donc pas marginale (Gulliver, Griffiths, Mackinnon, Batterham et Stanimirovic, 2015; Rice et coll., 2016), même si la prévalence peut varier d’une étude à l’autre. Un examen plus détaillé de ces problématiques permettra au professionnel de mieux cerner les difficultés que peuvent rencontrer les sportifs et de distinguer les groupes les plus à risque, dans le but d’en prévenir l’apparition et d’intervenir lorsque requis.

Troubles alimentaires

Depuis les années 1980, à la suite des travaux de Garfinkel et Garner (1982) auprès de danseuses et de la population sportive féminine en général, une abondance d’études portant sur les troubles alimentaires chez les sportives a été publiée. Selon la recension des écrits de Michel et ses collaborateurs (2003), les troubles alimentaires toucheraient de 15 % à 65 % des sportives et de 5 % à 15 % des sportifs, en incluant les enfants et les adolescents. Une recension plus récente (Rice et coll., 2016) rapporte des taux variant de 16 % à 28,1 % chez les sportives d’élite adultes, en précisant que les athlètes plus jeunes, de sexe féminin et pratiquant un sport où une attention particulière est portée au corps seraient plus spécifiquement vulnérables. Il n’y a toutefois pas consensus entre les études à savoir si les troubles alimentaires sont plus fréquents chez les sportifs en comparaison avec la population non sportive (Rice et coll., 2016). Les méthodologies et les critères utilisés d’une étude à l’autre peuvent contribuer à expliquer les données parfois contradictoires obtenues. L’inclusion ou non des troubles non spécifiés est un facteur déterminant qui se répercute sur les prévalences rapportées, puisque cette forme serait plus fréquemment rencontrée au sein de la population sportive que l’anorexie mentale et la boulimie (Cox, 2005; Schaal et coll., 2011).

Chez les hommes, l’étude de Sundgot-Borgen et Torstveit (2004) fait état d’une prévalence de troubles alimentaires (incluant les troubles alimentaires non spécifiés) plus élevée qu’au sein du groupe contrôle. Elle atteint 8 % de l’ensemble de sportifs masculins et oscille entre 4 % et 22 % selon le type de sport pratiqué. Les athlètes pratiquant un sport individuel, d’endurance (comme le cyclisme), à catégories de poids (comme le judo) ou un sport esthétique (comme la gymnastique) sont considérés comme étant plus à risque de vivre avec des troubles alimentaires, et ce, tant les filles (Filaire, Rouveix, Bouget et Pannafieux, 2007a; Michel et coll., 2003) que les garçons (Filaire, Rouveix, Pannafieux et Ferrand, 2007b; Sundgot-Borgen et Torstveit, 2004). Cela s’explique par l’effet du poids et de l’apparence sur la performance, que ce soit sur le plan biomécanique, en ce qui a trait au jugement des officiels ou relativement à l’inclusion dans une catégorie. Tandis que les athlètes pratiquant un sport d’équipe (tel que le basketball) semblent particulièrement peu touchés par ces problèmes (Schaal et coll., 2011), la prévalence y est parfois nulle, même chez les filles (Filaire et coll., 2007a). On peut penser que c’est parce que l’apparence de l’athlète se répercute peu sur le résultat sportif, mais, pour l’instant, il y a peu de données pour expliquer ce fait.

Ainsi, il ne faudrait pas considérer à tort que toutes les athlètes féminines souffrent de troubles alimentaires ou que les sportifs masculins ne sont pas touchés par ces difficultés. Si les athlètes ont souvent recours à des méthodes facilitant la perte de poids, ils utilisent aussi diverses méthodes pour favoriser un gain de poids, comme les mélanges protéinés (Muller, Gorrow et Schneider, 2009). Ces stratégies peuvent se répercuter sur leur santé physique et mentale.

Le professionnel doit être en mesure de distinguer une stratégie nutritive optimale pour la performance et l’atteinte de critères imposés (comme dans le cas des catégories de poids) et un comportement néfaste pour la santé (Filaire et coll., 2007b). Il doit bien évaluer l’ensemble des aspects afin d’effectuer un portrait clinique et considérer que, fréquemment, la présence d’un trouble alimentaire s’accompagne d’autres symptômes chez l’athlète, le plus souvent des troubles dépressifs et anxieux (Filaire et coll., 2007b; Schaal et coll., 2011).

Stress de performance et trouble anxieux

Il existe peu d’études documentant la relation entre la pratique sportive et les troubles anxieux cliniques. Il y en a cependant davantage concernant des formes particulières d’anxiété chez les sportifs, telles que l’anxiété de performance ou l’anxiété liée à l’apparence physique, qui ne sont pas à proprement parler des psychopathologies d’après le DSM-5. Il faut souligner que l’anxiété de performance ne se répercute pas nécessairement sur d’autres sphères de vie, qu’elle n’implique pas forcément de détresse et qu’elle peut être normale lors d’une situation stressante telle qu’une épreuve sportive. Dans le cas d’un trouble anxieux, les symptômes dépassent la norme attendue pour un contexte précis et se répercutent sur plusieurs sphères de fonctionnement. Bien que certaines études attestent de la présence de symptômes et de troubles anxieux chez les athlètes (Rice et coll., 2016; Salmi et coll., 2010), il est encore difficile de préciser si leur occurrence est fréquente et si le risque est comparable à celui que l’on remarque dans la population générale. Les troubles anxieux seraient néanmoins la forme de psychopathologie la plus fréquente chez les sportifs d’élite, touchant jusqu’à 39 % d’entre eux (Salmi et coll., 2010). Il convient cependant de demeurer prudent et de faire la distinction entre une anxiété situationnelle – normale en contexte de saison compétitive et qui se résorbe d’elle-même – et un trouble anxieux – susceptible d’affecter les performances de l’athlète (Cox, 2005). Selon Gulliver et ses collaborateurs (2015), les principaux troubles anxieux affectant les athlètes d’élite sont l’anxiété sociale (16,5 % de l’échantillon), l’anxiété généralisée (7,1 %) et le trouble panique (4,5 %). Les athlètes pratiquant un sport impliquant le jugement d’officiels (ex.: la nage synchronisée) seraient davantage touchés par ces troubles, possiblement en raison de l’aspect plus subjectif de la performance et d’un sentiment d’emprise sur le résultat moindre chez l’athlète (Schaal et coll., 2011). Cette hypothèse n’a toutefois pas été clairement démontrée.

Symptômes dépressifs, surentraînement et épuisement

Il faut d’emblée souligner que les études s’intéressant spécifiquement à la dépression au sein de la population sportive étaient quasi inexistantes avant 2005. D’autres auteurs soulignent aussi l’absence d’études portant sur le sport de haut niveau et la dépression (Salmi et coll., 2010). Pourtant, cette problématique serait répandue, et les données obtenues récemment tendent à être stables et témoignent d’une prévalence de dépression touchant près du quart des athlètes d’élite, les taux variant entre 21 % et 27 % (Gulliver et coll., 2015; Salmi et coll., 2010; Yang et coll., 2007). Lorsque des différences sexuelles sont documentées, les taux sont plus élevés chez les femmes (Gulliver et coll., 2015; Rice et coll., 2016), mais ce n’est pas toujours le cas.

On sait que le risque de présenter une dépression devient saillant à partir d’un certain niveau de compétition, probablement à partir du niveau national (Schinke et coll., 2018), alors que la pratique sportive à des niveaux plus faibles pourrait être un facteur de protection (Sanders, Field, Diego et Kaplan, 2001). Outre le niveau de compétition, le clinicien doit considérer la période où les données sont prises, car les symptômes et prévalences tendent à être plus marqués en période compétitive et à chuter une fois celle-ci terminée, et ce, pour toutes les psychopathologies (Schinke et coll., 2018). Il doit aussi savoir que des difficultés d’ajustement et des troubles de santé mentale peuvent survenir au cours de la retraite, qui représente une autre période délicate pour le sportif, notamment en raison des importantes modifications qui l’accompagnent, le rôle, le statut et le mode de vie de l’individu se transformant complètement. Kerr et ses collaborateurs (2012) ont sondé des footballeurs et documenté que 10 % d’entre eux ont fait l’objet d’un diagnostic de dépression après l’arrêt de leur carrière. Ce diagnostic était corrélé à la présence de commotions cérébrales survenues au cours de leur vie d’athlète professionnel. La survenue d’une blessure est un autre moment de grande vulnérabilité associée à davantage de dépressions et de plusieurs autres psychopathologies, comme l’anxiété, ainsi qu’à une perception de fatigue accrue (Salmi et coll., 2010). Les athlètes rapportant plus de douleurs sont également plus à risque de dépression (Yang et coll., 2007).

Depuis les années 1990, des symptômes dépressifs sont aussi documentés en contexte de surentraînement pouvant mener au surmenage, communément appelé épuisement (Gould, Udry, Tuffey et Loehr, 1996; Michel et coll., 2003). Les athlètes pratiquant un sport d’endurance (comme le cyclisme) seraient particulièrement à risque en raison de la préparation physique très intense que requièrent ces sports (Peluso et Guerra de Andrade, 2005). La recension des écrits de Hughes et Leavey (2012) dévoile que le surentraînement toucherait de 20 % à 60 % des sportifs d’élite et que l’épuisement se manifesterait chez 10 % d’entre eux.

Problèmes de consommation, abus de substances et prise de risques

La pratique sportive serait associée à une consommation d’alcool plus importante que celle de la population générale (Rice et coll., 2016), et ce, encore davantage au sein des équipes sportives que chez les athlètes faisant un sport individuel (Lorente, Souville, Griffet et Grélot, 2004). Pourtant, Moore et Werch (2005) ont signalé que cela n’est pas toujours le cas. Les taux de consommation varieraient considérablement selon les périodes de la carrière sportive : ils seraient plutôt faibles en période compétitive, notamment en raison de leur impact négatif sur la performance, mais pourraient atteindre un niveau vertigineux en fin de saison et lors de la retraite sportive (Rice et coll., 2016).

Les jeunes qui s’entraînent à l’échelle régionale ou provinciale sont plus à risque de consommer de l’alcool que ceux qui ne s’entraînent pas, tandis que la plus faible proportion de jeunes qui en consomment se situe chez les athlètes nationaux et internationaux (Lorente et coll., 2004; Rice et coll., 2016). À un niveau de compétition élevé, le sportif déploie davantage d’efforts et de stratégies pour maximiser sa performance; la prise d’une substance risque fortement d’en annuler les effets en affaiblissant ses facultés et sa condition physique. Ce geste sera probablement mal perçu. La dépendance à la drogue et à l’alcool chez les athlètes d’élite a tout de même été documentée par Salmi et ses collaborateurs (2010). Elle toucherait 17 % de ces sportifs, principalement sous la forme de consommation abusive d’alcool. La consommation abusive de drogue ou d’alcool serait plus répandue chez les sportifs masculins (Lorente et coll., 2004). La revue de littérature de Rice et ses collaborateurs (2016) fait état de prévalences de 7 % à 8 % lorsque les études incluent plusieurs sports et les deux sexes, mais la prévalence atteindrait jusqu’à 45 % chez les joueurs de football professionnels masculins. Les athlètes performant au sein de l’élite présenteraient une vulnérabilité quant aux comportements de prise de risques tels que la consommation excessive d’alcool, mais aussi la conduite en état d’ébriété, les relations sexuelles non protégées, les comportements violents et les tentatives de suicide (Hughes et Leavey, 2012).

Conclusion

Ainsi, lorsqu’un athlète consulte un professionnel de la santé, la présence d’une psychopathologie sous-jacente ne devrait pas être écartée sans évaluation préalable. Cette évaluation devrait être la plus complète possible et tenir compte de l’âge et du sexe de l’athlète, du type de sport pratiqué, du niveau de pratique, de la période où les symptômes apparaissent et de la condition physique générale de l’athlète, puisque ces facteurs sont associés à différentes configurations de risques et de symptômes. Bien que les sportifs puissent présenter des difficultés qui dépassent le seuil de signification clinique ou diagnostique, il est recommandé de considérer ces difficultés sur un continuum (Schinke et coll., 2018) plutôt que de façon catégorielle et de bien évaluer leurs répercussions sur le fonctionnement de l’athlète (MacIntyre et coll., 2017). Une approche préventive permettrait d’intervenir dès les premières manifestations d’un problème et ainsi de réduire le risque d’occurrence d’une psychopathologie pouvant miner les performances et la carrière sportive, en plus de se répercuter sur d’autres sphères de la vie de l’individu et d’avoir des conséquences négatives à long terme (Schinke et coll., 2018). Par ailleurs, une attention devrait aussi être portée aux indicateurs positifs de santé mentale, tels que le sentiment de bien-être et d’accomplissement, la vigueur (MacIntyre et coll., 2017), la qualité des liens et le niveau de satisfaction de vie, et ce, afin d’avoir un portrait plus juste de la situation et d’adapter les interventions à la réalité de l’athlète en considérant l’ensemble de ses forces et de ses compétences. Cela est d’autant plus pertinent sachant qu’une approche mettant l’accent uniquement sur les aspects pathologiques peut contribuer à la stigmatisation des athlètes et instaurer au sein du monde sportif une certaine réticence à reconnaître les problèmes psychologiques et à les prendre en considération (MacIntyre et coll., 2017).

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