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Psychothérapie et évolution de l’alliance thérapeutique après un changement de thérapeute

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Un gestionnaire du réseau de la santé et des services sociaux souhaite colliger des données scientifiques permettant de mieux comprendre l’impact que peut avoir un changement de thérapeute en cours de suivi sur le bien-être et l’évolution des usagers.

Puisque l’alliance thérapeutique joue un rôle clé dans l’atteinte des objectifs de psychothérapie, il s’agit d’un thème ayant été considérablement exploré par les chercheurs. C’est ainsi que le style d’attachement du thérapeute a été identifié comme étant une variable centrale pouvant expliquer le rôle des habiletés relationnelles et émotionnelles face aux réactions des clients lors du changement d’un thérapeute à un autre.

Le contexte de suivis thérapeutiques en clinique universitaire constitue un terrain d’étude favorable puisque le départ des intervenants étudiants se produit fréquemment avant que les clients ne soient arrivés à la fin de leur processus psychothérapique. Il s’agit alors d’un défi pour les thérapeutes en formation qui doivent à la fois soutenir le client dans le développement d’une nouvelle alliance thérapeutique avec un prochain thérapeute, et répondre à leur propre dynamique liée à l’attachement, de façon à soutenir le client dans sa capacité à vivre un changement de thérapeute harmonieux.

Une étude d’An, Kivlighan et Hill (2022) vise à mieux comprendre l’influence des représentations d’attachement du thérapeute associées à la perte dans un contexte de changement de thérapeute et dans le cadre de services de psychothérapie psychodynamique, en se basant sur des données longitudinales.

L’étude concerne 23 clients reçus par des thérapeutes et étudiants au doctorat, au nombre de 13 en pré-transfert de thérapeute (moyenne de 47,43 séances) et de 15 en post-transfert (moyenne de 37,82 séances). Les thérapeutes en sont au moins à leur troisième année doctorale et leur profil d’orientation thérapeutique s’inscrit majoritairement dans l’échelle psychodynamique, partiellement dans l’échelle humaniste-existentielle et, dans une moindre mesure, dans l’échelle cognitivo-comportementale.

Il ressort de cette étude que les clients ont tendance à qualifier l’alliance thérapeutique comme étant de moindre qualité après le changement de thérapeute, comparativement à l’alliance présente avant ce changement. Ceci correspond aux résultats d’études antérieures au sujet de changements de thérapeute, mettant en lumière une moindre alliance thérapeutique, une moindre satisfaction en thérapie et une santé psychologique de moindre qualité dans ce contexte, d’où le défi des thérapeutes de parvenir à soutenir leur client dans ce type de transition.

L’attachement anxieux du thérapeute et l’alliance thérapeutique

Lorsqu’on considère l’attachement du thérapeute, on constate dans cette étude une dégradation plus marquée de l’alliance thérapeutique lorsque l’attachement des deux thérapeutes (avant et après le changement) s’avère anxieux. Ceci peut s’expliquer par le fait que l’attachement anxieux est défini par :

  1. la difficulté à réguler la détresse émotionnelle;
  2. l’hypersensibilité aux signes d’abandon et de rejet.

Dans cette figure de cas, on peut donc imaginer que les deux thérapeutes (avant et après la transition) ont difficilement soutenu le processus de changement, ce qui a pu alimenter des réticences à l’idée de former une alliance avec un nouveau thérapeute. Pour le premier thérapeute, les raisons entourant cette difficulté ont pu être associées au débordement face au contre-transfert ou encore à la tendance inconsciente à entraver le développement d’une nouvelle alliance thérapeutique en raison d’une difficulté à terminer le suivi. Pour le second thérapeute, la crainte du rejet a pu alimenter une impatience incitant les clients à surmonter la perte du premier lien thérapeutique sans réellement leur offrir le soutien nécessaire au deuil de cette perte.

Contrairement aux attentes, on constate dans cette même étude que le fait de passer d’un thérapeute anxieux à un autre moins anxieux n’est pas associé à une alliance plus forte avec le second thérapeute.

Finalement, les résultats de l’étude suggèrent que l’idéal serait un attachement anxieux modéré chez le second thérapeute, associé à une faible diminution de la qualité de l’alliance thérapeutique, et ce, que le premier thérapeute ait présenté un attachement anxieux ou non. L’attachement anxieux modéré du nouveau thérapeute lui permettrait de : 

  1. porter une attention particulière à l’alliance thérapeutique; 
  2. réfléchir à son évolution;
  3. intervenir lorsque des difficultés d’alliance se présentent, sans pour autant être démesurément anxieux par rapport à l’alliance en y pensant démesurément ou en l’évaluant de façon erronée.

En somme, les effets de l’attachement anxieux du thérapeute sur l’alliance thérapeutique s’avèrent non linéaires en contexte de transition d’un thérapeute à un autre, et une attention particulière portée à l’alliance thérapeutique en construction s’avère essentielle dans ce contexte pour assurer la poursuite harmonieuse d’une psychothérapie.

Bibliographie