Agrégateur de contenus

SPARX : une intervention en santé mentale auprès de jeunes du Nunavut

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Un psychologue en mission dans le Grand Nord réfléchit à des stratégies visant à répondre à la détresse de jeunes évoluant au sein de communautés inuites.

La jeunesse inuite, au Canada, fait face à des défis importants sur le plan de la santé mentale, plus spécifiquement en ce qui a trait à la dépression et aux enjeux suicidaires. Des défis sociaux supplémentaires s’ajoutent également à ceux qui touchent généralement les adolescents de populations non autochtones, alors que les jeunes vivant au sein de communautés inuites présentent plus de difficulté à confier leurs difficultés de santé mentale à leurs parents et aux aînés de leur communauté, et présentent une réticence importante à demander de l’aide professionnelle lorsqu’ils vivent de la détresse, notamment par crainte d’une violation de la confidentialité. De plus, alors que des jeunes ont de la difficulté à identifier leurs symptômes de dépression se présentant notamment sous forme de colère, accéder aux services professionnels n’est pas une mince affaire dans leurs communautés, entre autres en raison du grand roulement de personnel dû notamment aux conditions de travail difficiles.

Dans une étude de Litwin et al. (2023), des chercheurs explorent des programmes thérapeutiques différents qui visent le développement de la résilience, lesquels respectent la confidentialité (ils sont autoadministrés), sont efficaces et, bien entendu, fondés sur les meilleures pratiques. L’objectif demeure de réfléchir aux questions touchant la santé mentale afin de prévenir la dépression et le suicide, et ce, tout en considérant les pratiques culturelles d’un groupe en particulier. Des variables importantes sont considérées, comme un langage adapté, la cohérence et le respect de la fierté culturelle, la croyance envers les enseignements culturels, l’attachement envers les aînés de la communauté, et l’implication dans les activités traditionnelles et autres cérémonies.

Afin de diminuer la symptomatologie anxio-dépressive, il existe des programmes informatiques de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) se penchant sur les défis émotionnels et comportementaux et sur le fonctionnement global problématique d’une personne. L’accès au traitement s’en trouve facilité et de faible coût, tout en apaisant la méfiance découlant de la confidentialité fragile au sein des petites communautés. Cette étude vise ainsi l’exploration de l’utilité potentielle d’un programme informatique de TCC nommé SPARX ainsi que sa correspondance avec les repères culturels des adolescents du Nunavut. Le programme est, en réalité, un jeu psychoéducatif à visée thérapeutique qui allie le loisir et l’atteinte d’objectifs sérieux afin de faire diminuer les symptômes dépressifs cliniquement significatifs par l’enseignement de la résilience face aux pensées et aux émotions négatives.

Au départ, 25 communautés du Nunavut s’impliquent dans l’étude et 11 d’entre elles effectuent l’essai pilote. De jeunes participants (âgés de 13 à 18 ans) sont sélectionnés par des travailleurs de la santé mentale en raison de leur humeur négative et de leurs réactions anxio-dépressives. Au total, 24 jeunes prennent part au jeu SPARX, puis 11 jeunes et sept travailleurs en santé mentale participent aux entrevues semi-structurées finales (individuelles, par paires ou par « focus group »). Ces entrevues permettent aux participants d’en dire plus à propos de leur expérience. Ils parlent alors de leur santé mentale, explorent l’utilité du programme et proposent des éléments de culture inuite à y intégrer pour l’améliorer.

L’analyse des thèmes induits lors de la collecte de données sous-tend quatre axes importants. Le premier est certainement le potentiel de SPARX, qui offre un soutien adéquat aux jeunes grâce à l’apprentissage de la régulation des émotions en général et de la colère en particulier, et de stratégies pour faire face à l’adversité (mieux la tolérer, apprendre à contrôler son comportement). Plusieurs jeunes font état d’un sentiment de fierté et de confiance en reconnaissant leurs émotions et en apprenant des stratégies de régulation émotionnelle (mettre au défi les pensées négatives et les distorsions cognitives ; effectuer des respirations profondes et des exercices de relaxation musculaire ; trouver des distractions constructives). Les intervenants observent chez ces jeunes une meilleure capacité à s’engager dans des interactions avec conscience et auto-observation, ce qui nourrit leur confiance dans leurs relations interpersonnelles.

Le deuxième axe évoqué concerne l’amélioration de l’accès aux outils de prévention et d’intervention en santé mentale grâce au programme SPARX, et soutient l’idée d’implanter le programme dans les écoles afin de minimiser la gêne associée au fait de devoir se rendre au bureau de santé mentale (suggestions : créer des dépliants et rédiger des descriptions claires et accessibles du programme). Le troisième axe concerne l’adaptation culturelle du programme : les jeunes désirent une version de SPARX adaptée à la communauté inuite (scènes se déroulant en montagne ou sur la glace, et scénarios d’aventures nordiques comme la pêche, par exemple).

Finalement, le quatrième thème concerne les défis d’implantation et de participation au programme et souligne les effets limités dans le temps des interventions (programme considéré comme étant simpliste et dépourvu de défis qui pourraient susciter l’engagement). Il appert que des aventures de plus longue durée pourraient exacerber le recours à la pensée critique chez les adolescents. Les intervenants rapportent quant à eux les défis de l’implantation du programme SPARX en raison de la multiplication de leurs rôles au sein des communautés, ce qui limite leur disponibilité pour ce programme en particulier.

Tout compte fait, le programme apparaît prometteur pour améliorer l’humeur et l’intelligence émotionnelle des adolescents inuits et leur enseigner des stratégies saines de résolution de conflits. Les participants semblent acquérir des aptitudes de régulation émotionnelle. Cette version préliminaire du programme gagnerait à être adaptée en fonction des commentaires émis par les participants. De futures études devront porter sur un échantillon de plus grande ampleur afin de pouvoir conclure à des résultats valides et fiables.

Bibliographe