Secrets et stratégies de régulation émotionnelle
Observant de nombreux secrets révélés exclusivement en psychothérapie, un psychologue s’interroge relativement au coût émotionnel des secrets et quant aux stratégies de régulation émotionnelle associées.
Certaines informations personnelles font l’objet d’une dissimulation auprès des autres, chacun gardant en moyenne 13 secrets à la fois. Ceci génère un coût psychologique inhérent d’une part à la régulation émotionnelle nécessaire (de la culpabilité, de la honte, de l’inquiétude, de la déprime et de la solitude associées au secret; ou encore des émotions de fierté, d’excitation ou de gratitude qu’ils génèrent) et, d’autre part, à la régulation des informations, partagées ou non.
Le modèle de Slepian (2022) soutient que l’intention de garder une information à l’abri des autres génère une sensibilité accrue aux indices de l’environnement associés audit secret. Deux situations sont alors possibles :
- la voie de la dissimulation, lorsque l’environnement exige que l’information soit cachée et que les comportements sont mis en place en ce sens;
- la voie de l’errance mentale, lorsque maintenir le secret n’est pas une nécessité découlant de l’environnement et que la pensée revient constamment au secret, ce qui est associé à davantage de préoccupation.
À partir de ces deux types de situations, différents processus de régulation sont recensés : outre la préoccupation, qui peut mener à la rumination ou à l’inverse à la distraction, on remarque l’inhibition; l’évitement du partage des émotions en situation sociale; la restructuration cognitive, moins fréquente sans soutien psychothérapique; et l’acceptation, aidante face aux émotions de culpabilité et de honte.
Trois études de Bianchi et ses collaborateurs (2024) se penchent sur des secrets à la fois personnels, négatifs et significatifs, et visent à rassembler les théories portant sur la notion de secret afin d’améliorer la connaissance des mécanismes associés aux processus de régulation émotionnelle entourant les secrets. La première étude invite 498 participants à décrire des informations personnelles à connotation négative inconnues d’autrui. Ces informations sont volontairement tenues secrètes par les participants du premier groupe, et simplement non abordées par les participants du deuxième groupe (il s’agit d’informations non dévoilées, mais qui pourraient être abordées si le sujet se présentait). Il ressort de cette étude que les participants du premier groupe, qui gardent volontairement un secret, se tournent plus fréquemment vers une stratégie de régulation émotionnelle axée sur la suppression de l’expression émotionnelle et moins fréquemment vers le partage social. Ceci a pour effet de dissimuler les indices associés au secret ou d’éviter les sujets de discussion reliés, mais présente l’inconvénient de maintenir l’intensité émotionnelle inchangée et, ainsi, suscite un moindre bien-être émotionnel chez les participants.
La deuxième étude se penche sur l’exploration des caractéristiques du secret associées à davantage de régulation émotionnelle. Dans cette étude, 174 participants se sont prêtés à la tenue d’un journal quotidien pendant une semaine, ce qui visait à recenser leurs pensées à propos d’un secret en déterminant à quel point ils avaient recours à six stratégies de régulation émotionnelle différentes. L’acceptation ressort comme la stratégie la plus fréquemment utilisée pour réguler les émotions associées à un secret. La distraction et la suppression de l’expression émotionnelle suivent, puis la rumination et la restructuration cognitive s’avèrent plus rarement utilisées. Finalement, les secrets jugés plus importants ou plus négatifs suscitent davantage de stratégies de régulation émotionnelle, comme la suppression de l’expression émotionnelle, la distraction et la rumination. Ainsi, le partage social demeure définitivement la stratégie de régulation émotionnelle la moins employée au profit de stratégies internes, surtout en contexte de secrets émotionnellement lourds.
La troisième étude s’inscrit dans la lignée de la deuxième et approfondit la portée des résultats, proposant un journal quotidien pendant deux semaines en établissant plus de démonstrations de régulation émotionnelle, mieux évaluées. Les résultats indiquent encore une fois que l’acceptation est la stratégie de régulation émotionnelle la plus utilisée, ainsi que la distraction, tandis que le partage social est plus rare.
Toujours dans cette troisième étude, d’autres caractéristiques du secret sont évaluées, telles que la crainte que le secret soit découvert, les croyances associées à la possibilité de contrôler le secret, l’immoralité associée au fait de garder le secret, les dommages sociaux et la certitude entourant la raison de garder le secret. Il ressort de cette étude que les secrets jugés significatifs et négatifs prédisent des stratégies de régulation émotionnelle telles que la suppression de l’expression émotionnelle, la rumination, la distraction, et moins d’acceptation. À propos de l’immoralité du secret, la restructuration cognitive s’avère fréquemment employée, possiblement pour justifier la décision de maintenir le secret, ou pour minimiser les émotions négatives associées à l’immoralité de garder le secret. Toutes les stratégies de régulation émotionnelle sont associées à la capacité de contrôler le secret et aux dommages sociaux, sauf le partage social, ce qui donne à penser que plusieurs moyens sont tentés pour favoriser la gestion des émotions.
La série d’études de Bianchi et ses collaborateurs (2024) démontre que les secrets s’accompagnent de stratégies de régulation émotionnelle diverses découlant de la tension inhérente au désir de protéger le secret, opposé à la préservation du bien-être émotionnel. Il s’agit d’une rare étude alliant la théorie de la régulation émotionnelle et celle de la régulation de l’information, proposant des pistes cliniques pratiques telles que l’étude du secret (positif ou trivial), l’exploration des effets à long terme de chaque stratégie de régulation émotionnelle et l’invitation à recourir à certaines stratégies pour alléger la charge émotionnelle sans pour autant révéler le secret.
Bibliograhie
- Bianchi, V., Greenaway, K. H., Slepian, M. L. et Kalokerinos, E. K. (2024). Regulating emotions about secrets. Emotion, 24(6), 1386-1402.