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Le codéveloppement : entraide et développement professionnel du psychologue

Dr Yves Martineau, psychologue et conseiller scientifique à la Direction de la qualité et du développement de la pratique de l'Ordre des psychologues du Québec - ymartineau@ordrepsy.qc.ca


L’Ordre reçoit régulièrement des appels de membres et de détenteurs du permis de psychothérapeute qui s’intéressent au codéveloppement et se demandent si le projet qu’ils envisagent peut se qualifier pour la formation continue en psychothérapie. Dans cette chronique, nous clarifions les critères pour que cette activité soit approuvée dans le contexte de la formation continue obligatoire.

La définition

Le codéveloppement consiste à s’engager à participer activement, voire à préparer et à mettre en oeuvre une activité dont le but est de maintenir ou de développer les compétences professionnelles dans l’exercice de la psychothérapie. Le groupe de codéveloppement peut s’appuyer exclusivement sur les connaissances, l’expérience clinique et les compétences des participants, qui jouent alors tous les rôles de l’activité de formation, incluant celui de formateur ou de présentateur. D’autres fois, le groupe peut s’appuyer en tout ou en partie sur les compétences d’un ou de plusieurs formateurs1.

Cette définition met de l’avant un engagement personnel et interpersonnel étant donné qu’il faudra d’abord se mettre d’accord sur les objectifs, le contenu et le format de l’activité.

Le but

Le but poursuivi est de maintenir ou de développer les compétences professionnelles dans l’exercice de la psychothérapie. C’est une formulation assez générale pour couvrir bien des besoins en formation continue. Encore faudra-t-il clarifier ces compétences2 ou connaissances qu’on voudrait maintenir ou développer. C’est pourquoi les participants doivent déterminer les objectifs d’apprentissage qu’ils comptent atteindre. S’agit-il de connaissances, d’habiletés à conceptualiser, de compétence diagnostique ou dans l’intervention? On gardera à l’esprit qu’en codéveloppement, l’accent n’est pas placé sur le client, mais sur la formation des participants. En effet, cette activité doit être distinguée des rencontres interdisciplinaires et autres réunions statutaires centrées sur l’élaboration des plans de traitement et l’organisation des services aux clients.

Les bénéfices

Le codéveloppement présente plusieurs avantages. Il reconnaît l’apport de l’apprentissage social et des activités spécifiquement conçues pour les besoins de ses participants ainsi que le soutien par les pairs. Le cadre du codéveloppement est flexible ainsi que sa durée. Par exemple, la méthodologie peut faire appel autant à des formations, à des mises en situation, à des pratiques, à des discussions portant sur la littérature scientifique, ou à des enregistrements (audio ou vidéo) permettant d’illustrer des concepts et d’approfondir l’expérience des clients et des psychothérapeutes. Il est possible d’orienter le contenu vers des connaissances ou vers des habiletés selon le besoin. Pour les psychologues en bureau privé, le codéveloppement peut représenter une stratégie pour mitiger l’isolement professionnel. Le codéveloppement peut se tenir en présentiel ou encore par téléconférence, un avantage que certains peuvent exploiter dans la mesure où cela permet de rassembler des personnes distantes, mais aux intérêts communs comme les psychologues qui pratiquent dans des champs surspécialisés (cancer, autisme, maladies orphelines, etc.).

Un contenu conceptuel ou théorico-clinique reconnu

Le groupe de codéveloppement n’a pas à être lié à une méthode d’intervention spécifique. Cependant, le contenu doit être basé sur des fondements scientifiques et professionnels reconnus. Le terme reconnu implique que le contenu a été soumis à une révision par les pairs3, qu’il s’agisse d’un modèle théorique ou de données empiriques. Il s’agit alors d’inclure une description ou de faire la liste des concepts sur lesquels porte l’activité et d’en indiquer les sources.

Le codéveloppement, c’est de la formation!

La définition du codéveloppement mentionne qu’il est possible de « s’appuyer exclusivement sur les connaissances, l’expérience clinique et les compétences des participants ». Cela signifie que les participants, tous des professionnels compétents, peuvent jouer un rôle de formateur, d’animateur et d’organisateur entre eux, et non que les participants au groupe peuvent faire l’économie d’activités comme la lecture de textes ou d’articles scientifiques.

Les discussions au sujet des clients

L’Ordre reçoit parfois des appels pour vérifier si les discussions au sujet de clients sont possibles dans le cadre des groupes de codéveloppement. La réponse varie, en fonction des objectifs, des concepts et de la méthodologie. Discuter des clients vise quel objectif ? quels apprentissages formels ? le développement de quelles compétences ? Les discussions et les consultations informelles au sujet des clients ne constituent pas de la formation continue. Toutefois, présenter un cas en s’étant préalablement entendus sur le format de présentation et en référant à des concepts théoriques convenus devient une activité de formation continue parce qu’on tisse un lien entre la pratique et les modèles théoriques ainsi que les données reconnues. Donc, des discussions de cas encadrées par des référents théorico-cliniques clairs représentent une activité de codéveloppement admissible. En voici d’ailleurs quelques exemples.

Formule club de revue

Un groupe de psychologues s’intéresse à l’alliance thérapeutique. Ils ont repéré une dizaine d’articles scientifiques récents qui portent sur les méthodes susceptibles de favoriser ou de menacer l’alliance en psychothérapie. Chaque semaine, une première partie de la rencontre est consacrée à la présentation par un participant d’un texte traitant de l’alliance en psychothérapie suivie d’une discussion portant sur l’apport de ce texte à la pratique de psychothérapie. Une deuxième partie de la rencontre porte ensuite sur la présentation d’un cas, et les participants font des liens en groupe avec le texte de la première partie. Le but est d’augmenter les connaissances de chacun des participants, de favoriser le transfert des apprentissages et de générer des hypothèses cohérentes sur la nature de l’alliance entre les participants et leurs clients actuels.

Formule conceptualisation de cas

À partir des textes fondateurs d’une approche reconnue, les participants déterminent les concepts théoriques qui serviront de base à la conceptualisation des cas. Par exemple, un groupe s’intéressant à la mentalisation pourrait convenir que la présentation des cas exposera les manifestations des dimensions ou des axes bipolaires qui peuvent être dégagés de la définition de la mentalisation (interne-externe, cognitif-affectif, contrôlé-automatique, soi-autrui), puis déterminera les défauts de mentalisation ainsi que les ressources de mentalisation du client en les illustrant des émotions et des pensées typiques de celui-ci. Les éléments anamnestiques chercheront également à clarifier les racines développementales et les enjeux d’attachement. Le but est de favoriser la généralisation des concepts et d’augmenter la capacité des participants à établir le niveau de mentalisation de leurs clients pour la faciliter.

Formule inductive-déductive

À partir de la présentation d’un cas par un participant, le groupe examine les enjeux sur les plans du diagnostic, du pronostic et du traitement. À la rencontre suivante, les participants discutent des interventions possibles à la lumière des recherches qu’un ou plusieurs participants ont pu faire dans les bases de données de recherche ou dans des manuels spécialisés qui correspondent aux enjeux et aux constats identifiés durant la première rencontre. Les rôles d’animateur, de présentateur (du cas) et de recherchiste sont occupés à tour de rôle par les participants. Le but est de sortir des sentiers battus, d’explorer de nouvelles interventions et de faire appel à la pensée divergente des membres du groupe afin de relancer la réflexion clinique, voire de renouveler le processus thérapeutique.

Formule cours-practicum

Les participants ont identifié une intervention qu’ils souhaitent approfondir, par exemple, l’activation comportementale. Comme les participants sont déjà familiarisés avec cette intervention, chacun organise une présentation théorique qui porte sur l’utilisation de l’activation comportementale auprès de certaines clientèles complexes (dépendance, dépression, agoraphobie, anxiété généralisée, comorbidité avec trouble de personnalité, comorbidité avec handicap physique, fonction de l’inhibition comportementale dans la douleur chronique, rôle de l’entraînement au désengagement dans les préoccupations pathologiques, etc.) ou encore sur un aspect de l’intervention qu’il souhaite approfondir. À tour de rôle, les participants présentent des cas actuels afin de déterminer comment les apports théorico-cliniques peuvent leur être utiles. Des jeux de rôle sont organisés pour explorer comment introduire et mener l’intervention. Le but est de mettre à jour les connaissances et d’augmenter le registre des interventions du psychologue en matière d’activation comportementale.

Comme on peut le constater, dans tous ces exemples, il y a manifestement un mouvement qui est fait par les participants pour se saisir des connaissances liées à la pratique de la psychothérapie ou se familiariser avec elles.

L’attestation de participation à une activité de codéveloppement

Vous trouverez l’Attestation de participation à une activité de codéveloppement dans le site Web de l’Ordre. C’est le plan de l’activité qui doit être suffisamment élaboré pour permettre à l’Ordre d’apprécier la pertinence du projet aux fins de la formation continue en psychothérapie. L’attestation de participation à une activité de codéveloppement doit être autoportante, c’est-à-dire que toute l’information nécessaire pour l’apprécier y sera déclinée. Les exemples donnés plus haut montrent que la formulation n’a pas à être très approfondie pour apparaître pertinente.

Le nombre de participants

Bien que les groupes de codéveloppement soient généralement de 4 à 8 personnes, le nombre de participants autorisés va de 3 à 124. Dans les grandes équipes qui devront se scinder, certains peuvent avoir initialement l’impression de perdre des informations pertinentes pour leur développement professionnel alors qu’un groupe n’aura pas accès à ce qui sera discuté dans l’autre groupe et vice-versa. Cependant, l’objectif de favoriser l’engagement et les échanges prime. Rien n’empêche de tenir successivement d’autres ateliers de codéveloppement dans lesquels la composition des groupes sera modifiée pour profiter de l’expertise de tous. Certains indiquent que leur travail en multidisciplinarité implique nécessairement qu’ils doivent tous participer aux mêmes séances de codéveloppement. En fait, il n’y a rien qui empêche deux intervenants impliqués avec le même client de participer à des groupes de codéveloppement différents. Cela pourrait même être une occasion d'explorer de nouveaux territoires de conceptualisation et d’intervention avec les perspectives d’autres participants.

L’encadrement de l’activité

C’est au groupe de déterminer si l’encadrement et le suivi du groupe de codéveloppement seront confiés à un ou à plusieurs participants qui animeront, favoriseront la participation et orienteront les discussions dans le sens des objectifs poursuivis. Les participants peuvent aussi assumer diverses responsabilités à tour de rôle. L’animateur peut également partager des responsabilités avec les autres participants. Un gardien du temps peut être nommé, un modérateur des échanges peut aussi être utile. D’autres rôles peuvent enrichir le processus, comme celui du « joker », qui suggérera des questions-surprises. Un observateur peut aussi être nommé pour interroger le processus de groupe ou soulever un enjeu qui semble occulté. Une personne peut aussi être nommée pour prendre des notes et les partager ensuite avec les participants. L’encadrement autant que la méthodologie seront conçus pour favoriser l’atteinte des objectifs.

La déclaration dans le portail de formation continue

Dans son portail de formation continue, le membre déclare les heures de sa participation réelle aux rencontres de codéveloppement. Comme le codéveloppement est organisé par les participants, diverses responsabilités inhérentes à la tenue et à la gestion de l’activité devront être assumées. Le temps imparti à ces tâches n’est pas comptabilisable. Ainsi, le temps requis pour la planification, le suivi des échanges avec les membres du groupe et l’organisation des réunions ne peut pas être comptabilisé. On retiendra aussi que l’ensemble des heures de codéveloppement ne peut excéder plus de 45 heures5 par période de référence de 5 ans. Les heures dédiées à la préparation d’une formation par un formateur, qu’il soit ou non participant au groupe de codéveloppement, ne peuvent pas être comptabilisées dans la catégorie « donner de la formation ».

Conclusion

Le codéveloppement permet de valoriser l’expérience des participants et de miser sur des cas cliniques tout en favorisant la production de solutions concrètes avec le soutien des pairs. C’est aussi une manière de favoriser le transfert d’apprentissages dans la pratique des participants. Le codéveloppement peut également ouvrir des perspectives différentes et proposer des apports théoriques moins connus, mais pertinents. De plus, le codéveloppement favorise l’implication des participants et leur capacité à se remettre en question.

Notes

  1. Un document fournit des informations sur le codéveloppement dans le contexte de la formation continue en psychothérapie et sur la manière de remplir l’Attestation de participation à une activité de codéveloppement.
  2. Le référentiel d’activité professionnelle lié à l’exercice de la profession de psychologue au Québec peut être consulté sur le site de l'Ordre.
  3. Ce critère est généralement satisfait lorsque le modèle est associé à une publication dans une revue à comité de lecture ou à un chapitre de livre dirigé par un ou plusieurs directeurs scientifiques (textbook, handbook, éditions universitaires, manuel portant sur les théories de la psychothérapie, etc.). Cette source devrait bien sûr être incluse dans la liste des sources du projet de codéveloppement, mais il n’est pas nécessaire que l’activité ou la formation porte spécifiquement sur cette source. Il s’agit ici simplement de montrer que le modèle est reconnu par la communauté scientifique.
  4. Les exigences ont été fixées par le conseil d’administration de l’Ordre et le conseiller à la formation continue ne peut pas autoriser de dérogation quant au nombre de participants.
  5. Au prorata pour ceux dont l’obligation de formation continue en psychothérapie est inférieure à 90 heures par période de référence.