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EXCLUSIVITÉ WEB | Les troubles de la personnalité : traiter le lien par le lien

Line Girard | Psychologue

Mme Girard exerce comme psychologue clinicienne depuis 1982. Elle est directrice du Centre d’intégration gestaltiste (CIG), formatrice, superviseure-didacticienne en psychothérapie gestaltiste des relations d’objet (PGRO). Membre du groupe Neurogestalt, elle a collaboré à la traduction de La régulation affective et la réparation du Soi (Schore, 2008).

 

Dr Gilles Delisle | Psychologue

Le Dr Delisle a fondé le CIG en 1981. Il est professeur associé à l’Université de Sherbrooke et membre de la Society for Psychotherapy Research. Lauréat du prix Noël-Mailloux en 2010, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la psychopathologie et la psychothérapie.


La communauté professionnelle appelle à une meilleure compréhension de la pathogenèse des troubles de la personnalité. Plusieurs recherches montrent qu’une thérapie efficace de la personnalité contribue à prévenir les rechutes de plusieurs syndromes cliniques (Paris, 2015). Les données disponibles montrent aussi que les psychothérapies efficaces et efficientes des troubles de la personnalité ont beaucoup en commun et qu’elles sont, de facto, intégratives et relationnelles (Livesley, 2015).

Nous présentons ici les fondements théoriques et cliniques d’une forme de psychothérapie des troubles de la personnalité enseignée et pratiquée au Québec depuis 1997 : la psychothérapie du lien. Ce système, en phase avec les meilleures pratiques, est cliniquement riche quant à la compréhension singulière de la pathogenèse des troubles de la personnalité. Il résulte de l’intégration réfléchie et épistémologiquement balisée de trois riches traditions scientifiques et cliniques : la psychologie humaniste-expérientielle; la théorie psychodynamique des relations d’objet; les neurosciences développementales de la régulation affective. 

Depuis sa première mise en forme en 1997, quelques thèses doctorales et autres travaux sont venus en préciser certains aspects (Auger et Drouin, 2012; Ouellet et Drouin, 2012; Noël, 2015; Delbèke, 2016) et l’alignement avec les données probantes (Drouin, 2012). À ce jour, plus de 700 professionnels du Québec et de l’étranger se sont formés à l’approche. Ils oeuvrent à 50 % en établissement et à 50 % en clinique privée.

Fondements théoriques

La psychothérapie gestaltiste des relations d’objet (PGRO), ou psychothérapie du lien, est née d’une thèse doctorale (Delisle, 1998). Elle se définit comme un système de traitement des pathologies de la personnalité et de leur impact sur diverses problématiques cliniques. Dans sa forme actuelle (Girard et Delisle, 2012), elle cultive la pleine conscience de l’expérience relationnelle, éclairée par la pathogenèse des relations d’objet (Fairbairn, 1952) et la neurobiologie interpersonnelle (Siegel, 2006; Schore, 2008).

Le développement de la personnalité dans ce modèle se construit dans l’interaction entre la personne, conçue comme un organisme psychophysiologique, et son environnement. Tant la personne que l’environnement sont porteurs de facteurs de risque et de facteurs de résilience, et ils s’inter-influencent. Partant de là, on concevra le développement normal d’une personne comme résultant d’un parcours à travers trois chantiers développementaux (attachement, estime de soi et éros-éthos), où la somme des facteurs de résilience personne-environnement sera supérieure à la somme des facteurs de risque. Ce qui donnera un fonctionnement plutôt « bon » de la personnalité à l’âge adulte. Inversement, la pathogenèse de la personnalité sera conceptualisée comme résultant d’un parcours où les facteurs de risque surpassent les facteurs de résilience, ce qui handicapera le fonctionnement de la personnalité. C’est dire que cette rencontre au long cours entre l’environnement et l’enfant amène ce dernier à développer ses forces et ses faiblesses de différentes façons.

Le patrimoine de connaissances, issues des théories psychodynamiques et des recherches sur la neurodynamique du développement, permet au psychothérapeute d’apprécier dans l’histoire développementale du client la présence des facteurs de risque et de résilience spécifiques à chacun des trois chantiers développementaux. La réflexion diagnostique dans ce modèle appelle à repérer, au-delà du diagnostic descriptif de type DSM, l’itinéraire de la personne à travers sa complexité singulière, en lien avec ses environnements. Cette attention éclairée et réfléchie à la singularité du parcours du client sera l’un des leviers du processus thérapeutique.

Les troubles de la personnalité sont conceptualisés comme étant des dilemmes psychiques indispensables et intolérables « enkystés » lors du développement. Ils résultent d’un ou de plusieurs chantiers développementaux inachevés. La personnalité narcissique, dépendante, limite ou autre est comprise comme une solution – souffrante – de compromis entre des carences de ressources psychologiques et les exigences de la vie adulte. Il en résulte une phénoménologie de symptômes qui se présentent sous forme d’impasses expérientielles et relationnelles dans la vie du client. 

Le processus thérapeutique

La PGRO s’inscrit résolument dans la perspective relationnelle. La pathogenèse de la personnalité prenant racine dans l’interaction personne-environnement, c’est dans et par l’interaction que se déploiera le processus de changement : on traitera le lien par le lien. La pathologie étant comprise comme un agrégat de reproductions de chantiers développementaux inachevés, il s’agira de repérer ces reproductions, d’en construire le sens, et d’en élaborer la complétion. C’est ce processus que les PGRistes connaissent sous l’appellation trilogique reproduction-reconnaissance-réparation. Il concernera quatre champs expérientiels et relationnels, résumés sous les appellations champ 1, 2, 3 et 4. La logique de cette numération tient à des considérations théoriques et épistémologiques.

Le champ 3, autrement appelé champ symptomatique, concerne l’ensemble des situations et des relations où la personne se trouve dans des impasses. Nous appellerons champ 4 le champ développemental, celui qui aurait dû, normalement, conduire à un attachement sécure, l’équilibre narcissique et le reste. Le champ thérapeutique, celui de l’interaction ici-et-maintenant de la relation thérapeute-client, sera appelé champ 1. Enfin, le champ 2 contiendra l’histoire de la relation thérapeute-client. Ces deux champs seront les laboratoires relationnels pour le client et le thérapeute.

La reproduction

Au fil de l’interaction, le thérapeute veillera au repérage d’affinités thématiques entre les divers champs. Cette attention particulière aux ressemblances entre des situations du champ 3, ce qui se vit dans la relation thérapeutique (champs 1 et 2) et ce qui s’est construit dans le passé développemental (champ 4), amène progressivement le client à intérioriser cette forme de présence consciente à son expérience.

La reconnaissance

Nous appelons reconnaissance le processus par lequel le thérapeute et le client co-construisent le sens des impasses en tant que reproductions. Ce travail largement collaboratif se construit au sein de dialogues « mentalisants » et herméneutiques accompagnés d’affects régulés. Il s’agit de formes dialogales qui visent à optimiser la contribution de chacun, à partir de leurs ressources respectives, pour faire sens de l’expérience vécue. Le client y apporte son expérience affective et ses capacités relatives de mentalisation qui se voient enrichies par la résonance affective du thérapeute, sa compétence réflexive et ses capacités de régulation interactive.

La réparation

Nous entendons par réparation le dénouement interactif d’impasses relationnelles et expérientielles. C’est d’abord dans l’enceinte protégée de la relation thérapeutique que se dénouent les impasses centrales du client. Ce dénouement, cette « réparation », supposent que des impasses expérientielles et relationnelles du client ont été reconnues comme autant de reproductions. C’est par la convergence de ses compétences affective, réflexive et interactive que le thérapeute amène progressivement l’expérience créatrice et réparatrice. Alors que la reproduction se joue essentiellement dans la part transférentielle de la relation, que la reconnaissance se construit sur un mode essentiellement collaboratif, la réparation ne s’active que dans la part réelle de la relation thérapeutique. C’est bien par sa présence singulièrement incarnée, résonante, réfléchie et expressive que le thérapeute permet à la réparation d’apparaître, puis de s’intérioriser, de se stabiliser et de se transmettre au champ 3 (extérieur à la thérapie). Parce que les reproductions à l’âge adulte ont pour corrélats des circuits neuronaux qui se sont renforcés avec chaque épisode, il faudra « souvent sur le métier remettre notre ouvrage ». C’est dire que la réparation n’a rien de magique, rien de définitif. Dans les situations de dysrégulation, le client aura naturellement tendance, pourrait-on dire, à emprunter les chemins neuronaux patinés par l’usage. Ce n’est qu’à travers l’association répétée des expériences de réparation thérapeutique avec les circuits dorsolatéraux du cortex préfrontal que la mémoire de travail arrive à s’activer de concert avec la mémoire à long terme (Schore, 2008; Cozolino, 2012; Cyr, 2012).

Par sa capacité à activer les processus expérientiels et à les rendre pleinement disponibles à la conscience, la PGRO honore ses racines gestaltistes. Par son attention à l’histoire développementale et à ses reproductions, elle rend compte de son intégration des théories de la relation d’objet. Enfin, par son travail de régulation affective et par son attention à l’intégration neuronale, elle traduit les influences de la neurobiologie interpersonnelle.

La PGRO et les meilleures pratiques

Cette psychothérapie du lien n’est pas manualisée et est difficilement manualisable. C’est à la fois sa force et sa faiblesse. Dans l’état actuel des protocoles qui définissent les traitements soutenus empiriquement, elle ne se prête pas aux essais cliniques randomisés. Elle n’est pas réductible non plus à un répertoire de techniques dont on puisse, à distance, prescrire l’application différentielle à des troubles spécifiques de la personnalité. Elle existe et agit par la compétence clinique intégrée et autonome de ceux qui la pratiquent, qui s’y sont longuement formés et qui sont capables de faire face à la complexité clinique de cette clientèle.

Comme l’a bien montré Drouin (2012), la PGRO est en phase avec les principes thérapeutiques validés empiriquement (Castonguay et Beutler, 2006). Elle nécessite l’établissement d’une alliance forte, d’un lien qui résistera au déploiement de la dynamique des reproductions et au travail complexe et non planifiable de l’herméneutique du sens et de la réparation interactive. Ce faisant, il est raisonnable de penser qu’elle correspond aussi aux paramètres d’efficacité des approches psychodynamiques tels que révélés par les méta-analyses recensées en 2010 par Shedler. Ces psychothérapies relationnelles à processus émergent nécessitent une solide formation. En outre, parce qu’elles visent des ensembles cognitifs, affectifs et comportementaux complexes, et parce qu’elles aspirent à des modifications neurodynamiques durables, elles s’accommodent mal aux contextes de traitement de courte durée. Cependant, les changements induits par ces pratiques relationnelles présentent des tailles d’effet convaincantes qui, non seulement semblent durables, mais semblent continuer de croître après la fin du traitement (Leichsenring et Rabung, 2008; Messer et Abbass, 2010).

La compétence thérapeutique et la formation du psychothérapeute PGRiste

La pratique autonome de cette forme de psychothérapie des troubles de la personnalité doit s’articuler autour de trois grands axes de compétence clinique. La compétence affective peut être définie sommairement comme étant la capacité à éprouver un registre large d’affects, dans des tonalités modérées, et en accord avec la configuration de la situation clinique. La compétence réflexive se présente comme étant la capacité à établir, en cours d’entretien, des liens significatifs entre la situation clinique et ses connaissances théoriques. Enfin, la compétence interactive est comprise comme étant la capacité à construire un dialogue thérapeutique ajusté à la configuration du champ de la relation thérapeutique.

Ces trois axes de compétence thérapeutique, appliqués à la PGRO, signifient notamment que le psychothérapeute maîtrise les fondements de la relation thérapeute-client, comprend les processus du développement normal et pathologique en tant que phénomènes d’interaction organisme-environnement, sait repérer et travailler les affinités thématiques dans divers champs expérientiels du client, est en mesure d’aborder et de traiter les phénomènes transférentiels et contretransférentiels en tant qu’impasses de contact et maîtrise les fondements du dialogue herméneutique.

 

Bibliographie

Auger, F. et Drouin, M.-S. (2012). Vers une redéfinition de la notion de dilemme de contact en PGRO. Revue Québécoise de Gestalt, volume 13, 39-56.

Beutler, L. E., et Castonguay, L.-G. (2006). The task force on empirically based principles of therapeutic change. Dans L.-G. Castonguay et L. E. Beutler (dir.). Principles of therapeutic change that work, 3-12. New York : Oxford University Press. 

Cyr, J. (2012). Aspects neuropsychobiologiques de la personnalité. Dans L. Girard et G. Delisle (dir.). La psychothérapie du lien : genèse et continuité. Montréal : Les Éditions du CIG.

Cozolino, L. (2012). La neuroscience de la psychothérapie, guérir le cerveau social. Montréal : Les Éditions du CIG. 

Delbèke, N. (2016). Analyse phénoménologique et opérationnalisation des champs I et II en psychothérapie gestaltiste des relations d’objet. (thèse doctorale). Repéré à http://www.cigestalt.com/documents

Delisle, G. (1998). La relation d’objet en Gestalt thérapie. Montréal : Les Éditions du CIG.

Drouin, M.-S. (2012). La psychothérapie gestaltiste des relations d’objet et les données probantes. Dans L. Girard et G. Delisle (dir.). La psychothérapie du lien : genèse et continuité. Montréal : Les Éditions du CIG.

Fairbairn, W. R. D. (1952). An object-relations theory of the personality. New York : Basic Books. 

Girard, L. et Delisle, G. (2012). La psychothérapie du lien : genèse et continuité. Montréal : Les Éditions du CIG.

Leichsenring, F., et Rabung, S. (2008). Effectiveness of long-term psychodynamic psychotherapy: A meta-analysis. Journal of the American Medical Association, 300, 1551–1565. 

Livesley, J., (2015). Why integration matters: Integration as a treatment method and treatment goal. Communication présentée au XIVe congrès de l’International Society for the Study of Personality Disorders, Montréal.

Messer, S. B., et Abbass, A. A. (2010). Evidence-based psychodynamic therapy with personality disorders. Dans J. Magnavita (dir.). Evidence-based treatment of personality dysfunction: principles, methods and processes. 

Noël, D. (2015). Efficacité de la psychothérapie gestaltiste des relations d’objet sur le trouble dépressif majeur accompagné d’une pathologie de la personnalité (thèse doctorale). Repéré à http://www.cigestalt.com/documents

Ouellet, D. et Drouin, M.-S. (2012). Analyse de l’expérience contre-transférentielle et production d’une grille d’analyse du contre-transfert. Revue québécoise de Gestalt, 11, 157-173.

Paris, J. (2015). A life course perspective on personality disorders. Communication présentée au XIVe congrès de l’International Society for the Study of Personality Disorders, Montréal.

Shedler, J. (2010). The efficacy of psychodynamic psychotherapy. American Psychology, 65(2), 98-109.

Schore, A. N. (2008). La régulation affective et la réparation du Soi. Montréal : Les Éditions du CIG. 

Siegel, D. J. (2006). An interpersonal neurobiology approach to psychotherapy: How awareness, mirror neurons and neural plasticity contribute to the development of well-being. Psychiatric Annals, 36(4), 248-258.