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Pandémie : des défis pour la déontologie

Marc Lyrette, syndic - syndic@ordrepsy.qc.ca


Les derniers mois ont été éprouvants à bien des égards pour les psychologues, qui ont été, par la force des choses, obligés de modifier leurs façons de faire, pour ne pas dire de changer certains de leurs paradigmes, tout en s’assurant de respecter les règles déontologiques. Cette situation sans précédent a soulevé un nombre important d’enjeux et de questionnements légitimes sur lesquels l’Ordre a dû se pencher dans le but d’accompagner les membres et aider le public de la façon la plus adéquate possible.

Dès le début de la crise de la COVID-19 au Québec, un dilemme est apparu : comment les membres pouvaient-ils assurer un service de qualité tout en respectant les directives de santé publique, et ce, alors même qu’une clientèle déjà en besoin de soutien psychologique risquait de voir son niveau d’anxiété augmenté par la crise pandémique? Comment conjuguer une conduite déontologique respectant les préceptes de la Santé publique, tout en répondant aux besoins grandissants des clients?

Dans ce contexte, plusieurs enjeux ont fait surface, mais l’un d’entre eux, le confinement, a particulièrement chamboulé les pratiques, entre autres celle des psychologues cliniciens. Et de cette difficulté a découlé une série d’autres enjeux que nous aborderons dans les lignes qui suivent.

Expansion de la télépratique et notion de services d’urgence

Très rapidement en début de crise, conséquence directe du confinement obligatoire, la télépratique a connu une grande popularité et un essor considérable. Certains psychologues utilisaient ponctuellement cette modalité dans leur pratique professionnelle, mais la plupart d’entre eux n’en avaient jamais fait l’usage de façon aussi intensive. La télépsychologie s’est imposée par la force des choses comme moyen de répondre aux besoins des clients. Cependant, il a fallu nous assurer de communiquer urbi et orbi les règles entourant la télépratique pour que nos membres puissent respecter les exigences déontologiques de notre profession.

En filigrane, la question des « services d’urgence » en personne s’est posée pour répondre aux besoins des clients qui étaient en situation de grande vulnérabilité, et ce, avant que le Gouvernement n’assouplisse les règles liées au confinement, au début juin 2020. Certains psychologues trouvaient irresponsable que l’on puisse recevoir des clients en cabinet entre le 16 mars et le 1er juin, date officielle de la levée du confinement des cabinets des psychologues. D’autres ont insisté pour le faire, et ont dénoncé les consignes transmises par l’Ordre. Les avis étaient divergents à cet égard, principalement au tout début de la crise pandémique. Du côté des clients, un certain nombre réclamait des rencontres en présentiel, tandis que d’autres ne comprenaient pas que leur psychologue insiste pour les rencontrer.

Tout le spectre des opinions était présent, et l’Ordre a souvent été appelé à faire la part des choses afin d’assurer une cohérence dans les réponses transmises, tout en tenant compte du fait que les orientations gouvernementales étaient en constante évolution. Pour résoudre la quadrature du cercle, il a fallu compter sur l’usage d’un jugement acéré afin de tenir compte d’une multitude de circonstances particulières. Le Bureau du syndic a donc été appelé à intervenir en de nombreuses occasions pour trouver un terrain d’entente entre le psychologue et le client. Et tout ceci, il convient de le mentionner, grâce à une collaboration exemplaire de la part des psychologues.

Dans les cas de rencontres urgentes en présentiel, afin que le bureau de consultation du psychologue ne devienne pas un vecteur de transmission de la COVID-19, la distanciation physique et la désinfection ont permis aux psychologues d’offrir leurs services en présentiel tout en respectant les directives de santé publique.

La dynamique du consentement en mode télépratique

La popularité de la télépratique a fait en sorte que rapidement, l’Ordre des psychologues du Québec a dû se positionner en faveur de l’intérêt supérieur du client à ne pas être exposé au risque d’être infecté par la COVID-19 et, pour ce faire, donner au client le privilège de décider si le nouveau pacte de télépsychologie était ou non acceptable pour lui. La posture derrière tout ceci était la reconnaissance du caractère dynamique du consentement du client. Un client qui avait consenti à la prestation de services en personne n’avait effectivement pas nécessairement consenti à la prestation de services en télépratique. Cet état de fait a obligé les psychologues à obtenir un nouveau consentement, puisque de nouvelles modalités de prestation de services se mettaient en branle et répondaient aux inquiétudes légitimes de plusieurs clients.

Télépratique et plateforme sécuritaire

De façon à soutenir les psychologues, l’Ordre a suggéré l’usage de diverses plateformes, avec la mise en garde qu’aucune d’entre elles ne pouvait garantir une totale étanchéité de la confidentialité. La situation inédite à laquelle nous étions confrontés commandait que l’on puisse garantir la confidentialité des propos, tant du point de vue du client que de celui du psychologue.

Le sceau de la confidentialité est un des piliers de la relation professionnelle et il garantit l’aisance nécessaire pour se livrer en toute confiance au psychologue, que ce soit pour des services d’évaluation, d’expertise, de consultation ou de psychothérapie. Or, il est apparu que plusieurs clients ne pouvaient pas s’astreindre à la prestation de services par télépratique, tout simplement parce que leur environnement familial, domiciliaire ou technologique ne leur permettait pas d’assurer la confidentialité des séances.

La tenue de dossiers en télépratique

Les psychologues qui n’avaient plus accès à leur bureau ont acquis de nouvelles compétences par l’utilisation de certaines plateformes avec lesquelles ils sont devenus de plus en plus à l’aise. Avant la crise pandémique, certains avaient peu ou n’avaient pas encore travaillé avec des outils technologiques par le passé et ceux-ci ont fait le pas. Certains se sont même procuré des logiciels intégrés de tenue de dossier et de visioconsultation.

Pour d’autres se posait la difficulté de savoir comment concrétiser leur tenue de dossiers à distance. Puisque certains psychologues exerçaient à partir de leur domicile, dans la mesure où la confidentialité des dossiers était assurée, rien n’empêchait le psychologue de détenir ses dossiers à domicile pourvu qu’ils soient gardés dans en lieu sûr, de façon à en assurer la mise à jour régulière.

Télépratique et défis à venir

Le confinement puis le déconfinement progressif ont permis de mieux dégager les pourtours de la télépratique, c’est-à-dire ses avantages et ses limites. La télépsychologie fut un outil important pour beaucoup de clients, de même que pour plusieurs psychologues. Lorsque le confinement s’est terminé, une forte proportion des psychologues s’était acclimatée et avait adopté la télépsychologie. Certains d’entre eux envisagent même cette modalité de prestation de service comme unique façon d’offrir leurs services psychologiques à l’avenir.

Cependant, il faudra se souvenir que pour une certaine clientèle, la présence physique d’un être humain incarné et tangible continuera d’être essentielle afin d’atteindre ses objectifs thérapeutiques ou, tout au moins, de tenter de le faire. Rappelons que, tôt au début de la pandémie, plusieurs clients ont manifesté leur indisposition face à la télépsychologie. Les plus vulnérables d’entre eux ont nécessité des services en personne afin de gérer les difficultés aiguës qu’ils vivaient. D’autres ont constaté les limites de la télépsychologie, celle-ci n’étant pas adaptée à leur réalité complexe. Finalement, certains clients ont été rébarbatifs à la télépratique et ont choisi de suspendre la prestation de services de leur psychologue. Cela ne veut certes pas dire que ces derniers ont atteint ou atteindront leurs objectifs thérapeutiques incessamment, mais plutôt qu’il faudra que leur psychologue envisage de les relancer lorsque le déconfinement sera permanent afin qu’ils aient la possibilité de manifester leur intérêt à un retour à la prestation des services en personne.

Conclusion

Le confinement obligé a permis l’essor de la télépratique. De celle-ci ont découlé plusieurs enjeux qui ont eu des impacts notables sur une forte majorité de psychologues qui œuvraient en pratique privée. Mais il importe de mentionner que d’autres problématiques, qu’il serait fastidieux d’énumérer ici, ont émaillé le quotidien de nombreux membres de la profession exerçant dans des sphères différentes du soutien psychothérapeutique. Dans tous ces cas, comme pour la télépratique, le Bureau du syndic a été aux premières loges pour prendre acte des problématiques affectant les psychologues et le public, et il a dû redoubler d’efforts pour les résoudre avec eux.