Image corporelle et réseaux sociaux
Dre Stéphanie Léonard, psychologue
Spécialisée dans le traitement des troubles de l’alimentation et de l’image corporelle, la Dre Léonard est fondatrice de l’organisme Bien avec mon corps ayant pour mission de favoriser une image corporelle saine chez les jeunes.
Dre Léonie Lemire Théberge, psychologue
Pratiquant à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et en cabinet privé, la Dre Lemire Théberge se spécialise dans l’évaluation et le traitement des troubles de l’alimentation et des troubles anxieux.
Les différents médias nous bombardent constamment d’images et de messages qui renforcent l’importance que l’on accorde à l’apparence et le besoin de correspondre à des critères de beauté spécifiques et irréalistes. L’arrivée des médias sociaux et leur utilisation à la fois importante et répandue ont eu pour effet de multiplier notre exposition à l’idéal de beauté véhiculé. En 2018, seulement au Québec, presque 100 % des adultes ont utilisé au moins un réseau social (Cefrio, 2018). De plus, chez les personnes âgées de 16 à 24 ans, le temps consacré aux réseaux sociaux est estimé à près de trois heures par jour (Global Index, 2019).
Depuis quelques années, un nombre considérable d’études, principalement menées auprès de filles et de femmes, se sont penchées sur l’impact de l’utilisation des réseaux sociaux sur l’image corporelle. Les résultats cumulés à ce jour confirment que cette utilisation est associée à davantage d’insatisfaction corporelle (Fardouly et Vartanian, 2016; Franchina et Lo Coco, 2018; Holland et Tiggemann, 2016) et de distorsion face à son image corporelle, de perception négative de ses propres attributs (Fardouly, Diedrichs, Vartanian et Halliwell, 2015). Le fait de se comparer aux autres (Chang, Li, Loh et Chua, 2019), l’internalisation de normes de beauté irréalistes (Rousseau et Eggermont, 2018) et, chez les personnes les plus vulnérables, un risque accru de développer un trouble de l’alimentation (Cohen et Blaszczynski, 2015; Bachner-Melman, Zontag-Oren, Zohar et Sher, 2018) sont aussi des effets de l’utilisation des réseaux sociaux.
Contrairement aux croyances populaires, l’impact néfaste des médias sociaux sur l’image corporelle s’observe également chez les garçons et les hommes. Une recension des études menées auprès d’adolescents confirme que l’utilisation des médias sociaux, autant chez les filles que chez les garçons, est associée à une image corporelle plus négative (Franchina et Lo Coco, 2018). Une étude récente corrobore ces résultats, rapportant que les filles semblent être plus influencées négativement par le modèle de beauté axé sur la minceur, tandis que les garçons le seraient par un modèle de corps plutôt athlétique (de Vries, Peter, de Graaf et Nikken, 2016). Une étude réalisée auprès d’hommes appartenant à une minorité sexuelle rapporte également une association positive entre l’utilisation des médias sociaux et une insatisfaction corporelle, des symptômes de trouble de l’alimentation et le fait de considérer l’utilisation de stéroïdes anabolisants (Griffiths, Murray, Krug et McLean, 2018).
Malgré l’effet nocif indéniable de l’utilisation des médias sociaux sur l’image corporelle des jeunes et des adultes, certaines nuances quant au type d’utilisation des divers réseaux sociaux s’imposent. Dans un premier temps, selon une revue des études longitudinales réalisées sur le sujet, il semble qu’une utilisation brève des réseaux sociaux n’ait pas d’effet négatif sur l’image corporelle (comparativement à une utilisation prolongée). De plus, le fait de comparer son apparence à celle des autres sur les médias sociaux accentue significativement l’insatisfaction corporelle (Fardouly et Vartanian, 2016). Il semble, en effet, y avoir un lien chez les jeunes adultes entre le fait de passer plus de temps sur Facebook et une comparaison sociale accrue aux autres (Jang, Park et Song, 2016).
Dans un deuxième temps, une utilisation des réseaux sociaux axée sur l’apparence physique, où l’accent est mis sur des photos, est associée à une plus grande insatisfaction corporelle, à une internalisation du modèle de beauté axé sur la minceur, à davantage de comportements visant à contrôler le poids et à une volonté accrue de devenir mince (Fardouly, Willburger et Vartanian, 2017). Dans le même ordre d’idées, l’exposition à des modèles de beauté minces (à l’opposé de modèles de beauté considérés plus normaux et réalistes) a un impact plus négatif sur l’image corporelle (Tiggemann et Brown, 2018).
Il semble aussi que certains comportements, comme le fait de télécharger des photos, de rechercher la rétroaction sur ses propres publications et de se comparer aux autres augmentent les insatisfactions corporelles et les comportements alimentaires pathologiques (Holland et Tiggemann, 2016). De plus, chez les jeunes femmes, le fait d’émettre des commentaires à propos de photos de femmes qu’elles considèrent comme attirantes physiquement les incite à se comparer davantage et suscite plus d’inquiétudes relativement à leur image corporelle (Hogue et Mills, 2019). Finalement, chez des jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans, l’exposition à du contenu en ligne illustrant des comportements alimentaires à risque est associée au fait d’adopter ces mêmes comportements hors ligne (Branley et Covey, 2017).
En plus du temps d’utilisation et de certaines autres variables qui viennent moduler le lien entre l’utilisation des médias sociaux et l’insatisfaction corporelle, quelques études suggèrent que la manipulation des images visant à magnifier voire à trafiquer des photos semble contribuer à une perception négative de soi-même et de ses attributs physiques. En effet, les photos retouchées sur Instagram, comparativement aux photos non retouchées, sont associées à une plus grande insatisfaction corporelle chez les adolescentes, et ce, particulièrement chez celles qui ont tendance à se comparer socialement (Kleemans, Daalmans, Carbaat et Anschutz, 2017). Un phénomène similaire est observé chez les femmes, où l’exposition à des photos illustrant des améliorations esthétiques semble augmenter leur désir de vouloir à leur tour de telles améliorations. Cet effet est plus apparent chez les plus grandes utilisatrices des médias sociaux, chez celles qui suivent un plus grand nombre de personnes et chez celles qui présentent, à priori, des insatisfactions relativement à leur apparence physique (Walker, Krumhuber, Dayan et Furnham, 2019).
Il est à noter qu’une étude récente rapporte l’inverse, c’est-à-dire que plus les jeunes femmes voient des images retouchées sur Instagram, moins elles ont tendance à internaliser l’idéal de minceur (Vendemia et DeAndrea, 2018). Selon ces auteurs, pour les jeunes femmes, être conscientes que les photos sont manipulées contribuerait à un certain scepticisme et atténuerait, par conséquent, l’effet négatif sur leur image corporelle.
Malgré les effets néfastes des réseaux sociaux sur l’image corporelle énumérés précédemment, il est important de souligner que ces réseaux ne comportent pas uniquement des aspects négatifs. Il semble plutôt que les réseaux sociaux aient un effet parfois paradoxal. Weinstein (2018) s’est intéressée aux émotions ressenties lors de l’exposition aux médias sociaux et elle en a dégagé plusieurs paradoxes. Dans le but d’illustrer la contradiction des réseaux sociaux, elle a identifié quatre dimensions se rapportant à l’utilisation des réseaux sociaux : les interactions interpersonnelles, l’expression de soi, l’exploration et la navigation. Elle a, par la suite, évalué les émotions ressenties par les utilisateurs des réseaux sociaux selon deux pôles, soit les émotions positives et les émotions négatives.
Sur le plan des interactions interpersonnelles, les réseaux sociaux contribueraient à procurer une proximité tout en provoquant une certaine déconnexion. Quant à l’expression de soi, les réseaux sociaux faciliteraient l’affirmation de soi puisque la relation y est virtuelle, mais ils augmenteraient les préoccupations par rapport au jugement des autres. La troisième dimension concerne l’exploration et met en opposition les réseaux sociaux comme source d’inspiration, par exemple dans le cadre de la recherche d’information en fonction de ses intérêts, et comme source de détresse, par exemple lors d’une exposition à du contenu choquant ou troublant. Enfin, Weinstein aborde la navigation au sens large, qui peut générer du divertissement et de l’ennui de même que de l’admiration et de l’envie. Le fait de mettre en lumière la polarisation des effets des réseaux sociaux est essentiel afin de ne pas démoniser ces derniers et d’en évaluer la juste portée.
D’ailleurs, l’utilisation des réseaux sociaux peut contribuer positivement au bien-être des individus et à une meilleure santé mentale. Il semble qu’une utilisation positive et constructive des réseaux sociaux entraîne un espace offrant la possibilité de développer des stratégies de gestion de relations interpersonnelles et d’identité (Wang et Edwards, 2016). La socialisation sur les réseaux sociaux permettrait d’apprendre à développer des liens, à entretenir des relations interpersonnelles ainsi qu’à prendre sa place au sein d’une relation. De plus, chez les jeunes, certains réseaux sociaux peuvent favoriser l’échange de ressources ou de contenu bénéfique et ainsi contribuer à un développement plus positif (Lee et Horsley, 2017; Radovic, Gmelin, Stein et Miller, 2017). Il est également intéressant de constater que malgré l’omniprésence de mannequins au corps irréaliste, le fait d’être exposé à des images de mannequins « plus size » entraîne une plus grande satisfaction corporelle et une moins grande comparaison (Clayton, Ridgway et Hendrickse, 2017).
Il est également possible d’utiliser les réseaux sociaux dans le but de diffuser un contenu éducatif à la population. À ce sujet, les résultats d’une étude menée auprès d’adolescentes suggèrent qu’il est bénéfique de faire de l’éducation visant l’image corporelle et les comportements alimentaires par le biais des réseaux sociaux (McLean, Wertheim, Masters et Paxton, 2017). Il semble aussi indiqué d’utiliser ces réseaux pour détecter différents problèmes et ainsi mieux intervenir auprès des jeunes. À titre d’exemple, Yan et ses collaborateurs (2019) ont démontré qu’il était possible de détecter quelles personnes ont besoin d’une aide psychologique en raison d’un trouble de l’alimentation à partir de publications faites sur Internet.
En tant que psychologues, nous avons le défi de bien outiller notre clientèle aux prises avec des enjeux d’image corporelle en adaptant nos interventions à la réalité de l’omniprésence des réseaux sociaux. Dans un premier temps, face à un problème d’image corporelle, il apparaît primordial de faire une bonne évaluation de l’utilisation des médias sociaux : le temps d’utilisation, le type d’utilisation (particulièrement celle axée sur l’apparence), la tendance à se comparer au contenu observé et la recherche de rétroaction sur ses propres publications. Cette première étape nous permet d’obtenir un portrait précis de l’utilisation faite des réseaux sociaux et de mieux cibler nos interventions.
Dans un deuxième temps, un travail d’éducation psychologique s’avère essentiel. Ce dernier devrait miser principalement sur la démystification des effets néfastes d’une grande utilisation des médias sociaux, le paradoxe des émotions engendrées par leur utilisation et la réalité des images manipulées. L’identification et la déconstruction de ces aspects visent à favoriser un meilleur discernement et la manifestation d’un scepticisme chez notre clientèle à risque dans le but d’atténuer l’impact négatif sur l’image corporelle. En terminant, la communication de stratégies ciblées visant une utilisation modérée, avertie et bienveillante des réseaux sociaux est de mise. Tout comme le fait d’encourager notre clientèle à adhérer à du contenu positif et authentique, ainsi que de l’inciter à utiliser les diverses ressources thérapeutiques et de soutien disponibles par l’entremise des médias sociaux.
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